La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 24 avril 2018, sous le numéro 18-23, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la licéité de clauses d’un marché de travaux privés, qui aménagent les modalités de facturation.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de ses séances plénières des 17 janvier et 14 mars 2019 ;
Le fait de prévoir un pourcentage d’achèvement des travaux très élevé et la nécessité de l’émission par le maître d’œuvre d’un certificat de paiement après vérification de la bonne exécution des travaux pour que l’entrepreneur puisse émettre sa facture est susceptible de contrevenir :
- à l’article L. 441-6 VI alinéa 2 du code de commerce qui prohibe les clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement,
- à l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce qui interdit de soumettre son partenaire commercial à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
1. Objet de la saisine
Une société réalisant des travaux d’aménagement et de construction dans le secteur des travaux privés sollicite la CEPC pour avis concernant la licéité des clauses du contrat de marché de travaux privés conclu avec son partenaire commercial au regard des dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce.
Le contrat de marché de travaux privés se compose de deux lots, eux-mêmes divisés en plusieurs « mailles » correspondant au planning prévisionnel d’exécution des travaux.
Les clauses du contrat de marché de travaux signé avec le co-contractant aménagent les modalités de facturation des travaux, de sorte que l’entrepreneur en charge de la réalisation des travaux a la possibilité d’émettre une facture relative aux prestations réalisées seulement à l’atteinte d’un seuil allant de 60 % à 90 % de la réalisation des travaux. En pratique, le maître d’œuvre constate les conditions de réalisation des travaux et établit le cas échéant un certificat de paiement correspondant au seuil d’avancement des travaux réalisés.
Le maître d’ouvrage peut ensuite établir la facture en accord avec le certificat de paiement.
La question posée consiste à savoir si les clauses du contrat de marché de travaux privés ont pour effet de retarder le point de départ des délais de paiement régis par les dispositions de l’article L. 441-6 du code de commerce.
2. Analyse de la saisine
En matière de délais de paiement, le principe est celui d’un paiement des créances à 30 jours : « Sauf dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties, le délai de règlement des sommes dues est fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée ». Si les conditions générales ou les pièces de marché ne précisent pas le délai, celui-ci est fixé à 30 jours à compter de la réception des marchandises ou de l’exécution de la prestation demandée (délai supplétif prévu par l’article L. 441-6, 8ème alinéa du code de commerce).
Dans ces conditions, toutes les factures autres que les factures récapitulatives sont soumises aux délais de paiement maximum fixés par la LME : 45 jours fin de mois ou 60 jours à compter de l’émission de la facture. La loi Hamon du 17 mars 2014 a introduit à l’article L. 441-6 du code de commerce un délai de paiement spécifique aux factures périodiques. Il ne peut dépasser quarante-cinq jours à compter de la date d’émission de la facture.
Dans les relations de l’entreprise avec un client professionnel, l’article L. 441-6 du code de commerce prévoit que tout vendeur ou prestataire de services (par exemple une entreprise de bâtiment) doit « communiquer ses conditions générales de vente à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services qui en fait la demande pour une activité professionnelle ».
Par ailleurs, les conditions générales doivent aussi préciser l’application des délais de règlement aux situations de travaux. Les délais maximum légaux de paiement ont en effet vocation à s’appliquer à toutes les demandes de paiement présentées par les entreprises s’agissant, par exemple, de situations mensuelles ou de soldes.
A ce propos, on peut signaler que l’article L. 111-3-1 du code de la construction et de l’habitation a notamment reconnu expressément le droit, pour l’entreprise, de percevoir des acomptes mensuels (situations de travaux) en rappelant que le délai de paiement convenu pour le règlement de ces sommes ne peut dépasser le délai prévu au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce.
Au-delà de ces principes généraux, la question que pose la présente saisine concerne essentiellement le paiement d’une succession de prestations selon les termes du contrat et, en particulier, des annexes relatives à l’exécution des travaux.
Cette question appelle trois éléments de réponse complémentaires :
En premier lieu, il convient de rappeler que l’article L. 441-3 du code de commerce dispose que « Tout achat de produits ou toute prestation de service pour une activité professionnelle doivent faire l'objet d'une facturation.
Sous réserve des deuxième et troisième alinéas du 3 du I de l’article 289 du code général des impôts, le vendeur est tenu de délivrer la facture dès la réalisation de la vente ou la prestation du service. L'acheteur doit la réclamer. La facture doit être rédigée en double exemplaire »
Le premier alinéa de l’article 289-I-3° du code général des impôts dispose que « la facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services ». Le 1° du II de l’article 256 du même code précise que : « est considéré comme livraison d’un bien, le transfert du pouvoir de disposer d’un bien corporel comme un propriétaire ».
Par conséquent, dès lors qu’un marché de travaux prévoit nécessairement l’exécution de nombreuses prestations successives qui peuvent être individualisées (cf. liste des 25 prestations distinctes dans l’annexe stades de paiement travaux VRD), le fait que l’entrepreneur en charge de la réalisation des travaux n’ait pas la possibilité, selon les termes du contrat, d’émettre une facture avant que 60 à 90 % des travaux aient été réalisés est susceptible d’être abusif.
En effet, dès lors que la date d’émission de la facture constitue le point de départ du délai maximum applicable en matière de délais convenus, cette clause est susceptible de contrevenir au 2ème alinéa de l’article L. 441-6 VI du code de commerce qui dispose que « Sous les mêmes sanctions (amende maximale de 2 M€ pour les personnes morales), sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement mentionnés au présent article ».
En second lieu, l’émission de la facture relève de la responsabilité de l’entrepreneur. En l’occurrence, le point 8 de l’acte d’engagement « Paiement et modalités » stipule que le maître d’œuvre produit un certificat de paiement dès la constatation de l’atteinte du stade de paiement prévu au marché. Ainsi, il semble que la procédure de vérification par le maître d’œuvre de la bonne exécution (partielle) des travaux précède l’émission de la facture par l’entrepreneur. Ce dernier doit donc non seulement attendre d’avoir exécuté une part très importante des travaux (entre 80 et 90 % pour la plupart des prestations selon l’annexe relative aux stades de paiement travaux VRD) mais aussi attendre que le maître d’œuvre ait produit un certificat de paiement pour pouvoir émettre sa facture.
Sur 25 prestations, 8 nécessitent un achèvement de 90 %, 13 un achèvement de 80 % et 2, un achèvement de 85 % pour que la facture puisse être émise. Le risque d’abus est ainsi à prendre en considération.
En troisième lieu, ces pourcentages sont susceptibles d’être abusifs au regard de l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce sur le déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties dès lors qu’ils aboutissent à donner au maître d’œuvre la maîtrise de l’émission des factures par l’entrepreneur et donc du point de départ du délai de paiement, à un stade très avancé de l’exécution des travaux, donc à un stade auquel l’entrepreneur a déjà engagé de nombreuses dépenses pour régler les salaires de son personnel et acheter les fournitures nécessaires à l’exécution des travaux.
Le IV de l’article L. 441-6 du code de commerce dispose également que « La durée de la procédure d’acceptation ou de vérification ne peut avoir pour effet ni d’augmenter la durée, ni de décaler le point de départ du délai maximal de paiement prévu au neuvième alinéa du I, à moins qu’il n’en soit expressément stipulé autrement par contrat et pourvu que cela ne constitue pas une clause ou pratique abusive, au sens du second alinéa du VI du présent article ou de l’article L. 442-6. »
Il ressort de ce texte que la procédure d’acceptation ne devrait pas se dérouler antérieurement à l’émission de la facture. En effet, dans le cas contraire, cette procédure aurait bien pour effet de décaler le point de départ du délai de paiement, puisque la date d’émission de la facture est le point de départ du délai applicable en matière de délais convenus.
Cela est d’autant plus vrai qu’un mécanisme de retenue de garantie égale à 5 % maximum du montant d’un marché de travaux privés est prévu par l’article 1er de la loi n° 71-584 du 16 juillet 1971 tendant à réglementer les retenues de garantie en matière de marchés de travaux définis par l'article 1779-3° du code civil. Son objet est bien de permettre au maître d’œuvre de vérifier le bon achèvement des travaux.
Ainsi, la procédure de vérification de la bonne exécution des travaux ne doit pas aboutir au décalage de l’émission de la facture et du point de départ du délai de paiement, la retenue de garantie permettant au maître d’œuvre de vérifier la bonne réalisation des travaux.
Ainsi, le fait de prévoir un pourcentage d’achèvement des travaux très élevé et la nécessité de l’émission par le maître d’œuvre d’un certificat de paiement après vérification de la bonne exécution des travaux pour que l’entrepreneur puisse émettre sa facture est susceptible de contrevenir :
- à l’article L. 441-6 VI alinéa 2 du code de commerce qui prohibe les clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement,
- à l’article L. 442-6 I 2° du code de commerce qui interdit de soumettre son partenaire commercial à un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Cette analyse est confortée par les dispositions de l’article L. 111-3-1 du code de la construction et de l’habitation qui prévoit que :
- « Les prestations qui ont donné lieu à un commencement d'exécution des marchés privés mentionnés au 3° de l'article 1779 du code civil ouvrent droit à des acomptes. Sauf pour l'acompte à la commande, le montant d'un acompte ne peut excéder la valeur des prestations auxquelles il se rapporte. Les demandes d'acomptes sont émises à la fin du mois de la réalisation de la prestation.
- Le délai de paiement convenu pour le règlement des acomptes mensuels et du solde des marchés privés mentionnés au premier alinéa du présent article ne peut dépasser le délai prévu au neuvième alinéa du I de l'article L. 441-6 du code de commerce. Ce délai ne s'applique pas à l'acompte à la commande, qui est payé selon les modalités prévues au marché. »
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 14 mars 2019, présidée par Monsieur Daniel TRICOT
Fait à Paris, le 14 mars 2019,
Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales