La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 23 avril 2018, sous le numéro 18-22, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la conformité au droit de refus de factures mis en œuvre par certains de ses clients, au motif qu’il y a un écart de plus de sept jours ou de plus de dix jours, selon les cas, entre la date d’émission et la date d’arrivée de la facture.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 14 mars 2019 ;
La date de réception de la facture par le débiteur ne peut pas déterminer a posteriori la date de son établissement, qui reste de la responsabilité du créancier. L’émission de la facture est préalable ou concomitante à sa date d’envoi, par voie postale ou par tout autre moyen (transmission par internet par exemple).
Le débiteur ne peut exiger la « rectification » de la date de la facture de son créancier au motif que la pièce comptable aurait été reçue, par exemple, plus de 10 jours après. Une telle exigence est contraire aux prescriptions légales impératives relatives à l’émission des factures, qui doit intervenir dès réalisation de la livraison (au sens du droit fiscal et conformément à l’avis 17-5) ou de la prestation de service. Outre une infraction aux dispositions de l’article L. 441-3 du code de commerce, une telle pratique, si elle se répétait, pourrait également caractériser un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L. 442-6-I, 2° du code de commerce.
La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une entreprise prestataire de services d’une demande d’avis sur la conformité au droit d’une pratique relative à la facturation mise en œuvre par plusieurs professionnels du même groupe faisant appel à ses services. Cette pratique consiste à retourner au prestataire certaines de ses factures au motif qu’il y a, selon le client, un écart de plus de sept jours ou de plus de dix jours selon les cas, entre la date d’émission et la date d’arrivée de la facture.
Pour un de ces clients, la pratique repose sur une stipulation des conditions générales d’achat prévoyant que « toute facture enregistrant un décalage de plus de 10 jours calendaires entre la date qui s’y trouve apposée et la date à laquelle elle est reçue peut faire l’objet d’un retour au fournisseur pour mise en conformité de sa date d’émission ». Il est précisé que le client justifie cette façon de procéder par le souci de se conformer aux obligations légales en faisant valoir que, selon l'article 242 noniès A du Code Général des Impôts, la date d'émission de la facture constitue une mention légale obligatoire et doit donc être exacte et correspondre à la date d'envoi effectif de la facture à son destinataire.
S’il est vrai que cette disposition mentionne effectivement la date d’émission de la facture parmi les mentions obligatoires, l’article 289-I-3° du code général des impôts dispose en son premier alinéa que « la facture est, en principe, émise dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de services ». L’article L. 441-3 du code de commerce prescrit également de délivrer la facture « dès la réalisation de la vente ou la prestation du service ».
S’agissant de services, « la date de réalisation s'entend (…) de celle de la fin d'exécution de la prestation de service. En cas d'exécution fractionnée d'une prestation (location de véhicule par exemple), la facture doit être établie à chaque échéance normale de paiement » (DGCCRF, note de service no 5322, 3 février 1988). Ainsi la facture doit-elle être émise dès la fin d’exécution de la prestation de services, sans qu’il y ait lieu de tenir compte de la date à laquelle cette facture est effectivement reçue par le client professionnel au bénéfice duquel la prestation de services a d’ores et déjà été exécutée dès lors que celui-ci a connaissance de cette exécution. A ce titre, l’article L. 441-3 du code de commerce prévoit également que l’acheteur est tenu de réclamer la facture.
Comme l’a déjà souligné la Commission dans un précédent avis (Avis 17-5 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur les conditions des délais de paiement fournisseurs, à savoir le délai date de réception ou date de facture), il résulte de l’article L. 441-6 I, alinéa 9 du code de commerce que le législateur a entendu retenir, par principe, la date d’émission de la facture comme point de départ des délais de paiement.
La même disposition indique par ailleurs en son VI que le non-respect des plafonds légaux de paiement expose à une amende administrative dont le montant ne peut excéder 75 000 € pour une personne physique et deux millions d'euros pour une personne morale et ajoute que « sous les mêmes sanctions, sont interdites toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement ».
Or la clause comme la pratique consistant à substituer à la date d’émission identifiée à la date d’exécution du service, une autre date postérieure correspondant à celle à laquelle la facture parvient au client, ont pour effet de retarder sans justification légitime le point de départ des délais de paiement, de sorte que leur auteur est passible des sanctions administratives prévues à l’article L. 441-6-VI.
Par ailleurs, en cas de retard de règlement, les pénalités de retard et l’indemnité forfaitaire de recouvrement seront exigibles de plein droit, en application de l’article L. 441-6 du code de commerce, le jour suivant la date de paiement indiquée sur la facture.
Dans le cas où le prestataire de services pourrait être considéré comme un partenaire commercial au sens de l’article L. 442-6-I, 2° du code de commerce, l’entreprise cliente qui le soumettrait ou tenterait de le soumettre, en lui imposant sans possibilité de négocier, par le recours à ce procédé décalant le point de départ de la facturation, à des délais de paiement supérieurs à celui résultant des dispositions légales, serait susceptible de contrevenir également à cette disposition légale. Dès lors qu’il se répète, le décalage du point de départ des délais de paiement peut créer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties.
Il convient cependant de rappeler que la recherche d’un éventuel déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties requiert un examen concret des stipulations en cause, en prenant en compte le contrat dans sa globalité et qu’une fois caractérisé un déséquilibre significatif à partir de l’analyse d’une ou plusieurs stipulations, il appartient à l’autre partie d’établir l’absence de déséquilibre significatif à l’échelle du contrat.
Le créancier doit quant à lui veiller à émettre et envoyer chaque facture dès réalisation de la livraison ou de la prestation du service : le fait de ne pas mettre en place l’organisation permettant l’émission et l’envoi diligent des factures ou encore d’inclure dans ses CGV des clauses qui auraient pour effet de retarder les délais de recours du débiteur relativement à une facture dont l’envoi sera retardé, pourra mettre en jeu sa responsabilité au titre des pratiques restrictives de concurrence.
La pratique examinée ici empêche par ailleurs la circulation et la mobilisation des factures comme instruments de financement ou de crédit au bénéfice de leur émetteur.
Elle nuit enfin au caractère probatoire des mentions figurant sur facture, document juridique, fiscal et comptable.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 14 mars 2019, présidée par Monsieur Daniel TRICOT
Fait à Paris, le 14 mars 2019,
Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Daniel TRICOT