La Commission d’examen des pratiques commerciales,
Vu la lettre enregistrée le 17 juillet 2018, sous le numéro 18-38, par laquelle un cabinet d’avocats interroge la Commission sur l’éventuelle application de la réglementation relative aux délais de paiement à des opérations de commerce international payées par crédit documentaire.
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de sa séance plénière du 14 mars 2019 ;
La Commission d’examen des pratiques commerciales (CEPC) a été saisie afin de recueillir son avis sur la conformité au droit français d’une facture indiquant que le paiement doit être effectué « à vue » par voie de crédit documentaire. La question porte à titre principal sur la conformité de ce mode de paiement aux règles françaises plafonnant les délais de paiement (Article L. 441-6 du code de commerce).
Le crédit documentaire (ou accréditif) est un instrument de paiement couramment utilisé en pratique pour sécuriser l’exécution des obligations financières dans les ventes internationales de marchandises. Ainsi que le rappelle l’auteur de la saisine, « cet instrument constitue un engagement ferme et irrévocable pris par le banquier de l’acheteur de marchandises de payer un montant déterminé au vendeur des marchandises sur simple présentation de documents décrits dans le crédit documentaire ». Il en résulte que « en quelque sorte, la banque achète les documents qui lui sont présentés » (C. Lombardini, Droit et pratique du crédit documentaire, Helbing et Lichtenhahn, 2000, n°2). Ces documents incluent en principe une facture commerciale et les documents d’expédition des marchandises.
Conformément aux « Règles et Usances Uniformes relatives aux crédits documentaires » élaborées sous l’égide de la chambre de commerce internationale (ICC) et révisées en 2007 (RUU 600), le règlement peut intervenir dès présentation de documents conformes par le bénéficiaire (vendeur). C’est le paiement « à vue », c’est-à-dire un paiement au comptant, au vu des documents reçus (J.-P. Mattout, Droit bancaire international, Banque éd. 4e éd. 2009 n°301 p.313 ).
L’auteur de la saisine soulève deux difficultés.
1. Les règles de facturation
La première, qui ne fait pas en tant que telle l’objet d’une question à la CEPC, concerne la conformité de cette pratique à l’article L. 441-3 alinéa 4 du code de commerce aux termes duquel la facture doit comporter un certain nombre de mentions obligatoires, parmi lesquelles figure « également la date à laquelle le règlement doit intervenir ». D’après l’auteur de la saisine, cette mention serait par hypothèse absente de la facture remise au titre du crédit documentaire en cas de paiement à vue « puisque le paiement intervient à une date non déterminable à l’avance, dès lors qu’elle dépend de la présentation par le vendeur des documents requis à la banque de l’acheteur ».
En l’état du droit positif, ces règles de facturation s’imposent aux vendeurs et acheteurs établis en France sous peine de sanction pénale (Article L. 441-4 du Code de commerce ; sur l’application dans l’espace, v. par ex. Cass. com. 16 juin 1998, n°96-20182, Cass. crim., 18 juin 1998, no 97-81.510: JCP E 2000 p.177 obs. D. Fasquelle ; v. ég. Réponses aux principales questions des opérateurs pour l'application de la loi de modernisation de l'économie, dossier 28, nov. 2008, www.economie.gouv.fr/dgccrf/Les-relations-industrie-commerce ; CEPC, avis no 13-07, 27 mai 2013, relatif à l'application du taux de pénalité pour retard de paiement dans le cadre d'un contrat international, Concurrences 2013, p. 101, obs. J.-L. Fourgoux).
Lorsque le paiement doit intervenir « à vue » par voie de crédit documentaire, la date n’est pas expressément indiquée sur la facture commerciale. Elle se déduit toutefois implicitement des règles applicables au crédit documentaire aux termes desquelles le paiement à vue équivaut à un paiement au comptant sur présentation des documents.
La DGCCRF a déjà eu l’occasion d’indiquer que si la notion de « date » doit s’entendre en principe du quantième du mois, du mois et de l’année auquel le paiement doit intervenir, la mention « paiement comptant » - dont il résulte que le paiement doit intervenir le jour de la livraison – doit être tolérée (Note de service n°5955, 5 août 1993 et Note d’information n°1005, 13 décembre 1993, p.55, citées par le Lamy droit économique 2018 n°2633).
En cas de paiement « à vue » par voie de crédit documentaire, la date de règlement se déduit de la date de présentation de l’accréditif à la banque, autrement dit du jour de la « livraison des documents ». Comme c’est le vendeur qui procède à la présentation des documents, c’est lui qui a la maîtrise de la « livraison documentaire ». Celle-ci est néanmoins encadrée par les RUU 600 (v. ci-dessous) qui sont applicables en tant qu’usages (sur l’ensemble de la question, v. notamment M. Delierneux, « Crédits documentaires : droit applicable, tribunaux compétents et valeur normative des Règles et usances codifiés par la Chambre de commerce internationale », in. Le crédit documentaire, Cahiers AEDBF/ EVBFR Belgium, Anthemis, 2010, p.27). Le défaut de mention expresse doit donc également être toléré dans ce cas.
2. Le plafonnement des délais de paiement
La seconde difficulté, qui est l’objet central de la question posée à la CEPC, concerne la conformité de cette pratique à l’article L. 441-6 du code de commerce plafonnant les délais de paiement convenus entre les parties à « 60 jours à compter de la date d’émission de la facture » et à défaut de dispositions contraires figurant aux conditions de vente ou convenues entre les parties « au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestation demandée ».
Interrogée sur l’applicabilité dans l’espace de ces règles, la CEPC a estimé que les délais plafonnés pouvaient s’imposer en tant que lois de police aux ventes internationales de marchandises (CEPC, avis no 16-1, 14 janv. 2016, relatif à une demande d'avis d'un avocat sur le caractère impératif des délais de paiement dans le cadre d'un contrat international). Elle a néanmoins émis deux réserves à cette application :
- la première dans le cas où le droit applicable à la vente est celui d’un Etat membre de l’Union européenne ayant transposé a minima la directive no 2011/7/UE du Parlement européen et du Conseil du 16 février 2011 concernant la lutte contre le retard de paiement dans les transactions commerciales (Dir. no 2011/7/UE, 16 févr. 2011, JOUE 23 févr., n°L 48) ;
- la seconde dans le cas où la vente entre dans le champ de la convention de Vienne du 11 avril 1980 sur la vente internationale de marchandises (CEPC, avis no 16-12, 16 juin 2016, relatif à une demande d'avis d'un avocat portant sur l'application du plafond légal des délais de paiement dans un contexte international).
Quel que soit le droit applicable au contrat de vente, le crédit documentaire conclu avec la banque – qui est autonome par rapport au contrat sous-jacent – ne peut d’aucune façon entrer en contradiction avec la réglementation française des délais de paiement qui ne lui est pas applicable. En d’autres termes, la vente conclue entre les parties et le crédit documentaire conclu avec la banque constituent deux contrats distincts. L’autonomie de principe du crédit documentaire est rappelée fréquemment par la cour de cassation (v. par ex. Com. 2 novembre 2016, n°14-25410). Le plafonnement des délais paiement, à le supposer applicable à la vente, est donc inapplicable au crédit documentaire.
En revanche, la question peut se poser de savoir si, en utilisant ce mode de paiement, les parties à la relation commerciale sont susceptibles d’enfreindre la réglementation française à la supposer applicable.
Compte tenu du nombre important de pays ayant ratifié la convention de Vienne à ce jour (89), celle-ci sera le plus souvent applicable en vertu de son article 1§1 a) et b) aux ventes internationales de marchandises assorties d’un mode de paiement par voie de crédit documentaire. Quid lorsque la convention de Vienne est inapplicable ?
Comme il a déjà été dit, la date de règlement se déduit des règles gouvernant la présentation de l’accréditif par le vendeur directement à la banque émettrice (banque de l’acheteur), ou à une autre banque désignée qui interviendra en tant que banque notificatrice (transmet l’information à la banque émettrice) ou banque confirmante (s’engage à payer le vendeur contre remboursement par la banque émettrice).
Aux termes de l’article 6 des RUU 600, « un crédit doit indiquer une limite de validité pour la présentation. Une date limite de validité stipulée pour valider ou négocier sera réputée être une date limite pour la présentation » (Article 6 d. i). Il en résulte que « sous réserve des dispositions de l’article 29 (a) une présentation par le bénéficiaire ou pour le compte du bénéficiaire doit être effectuée au plus tard à la date de validité ».
Aux termes de l’article 14 b : « une banque désignée, agissant en vertu de sa désignation, une banque confirmante, le cas échéant, et la banque émettrice disposeront chacune d’un maximum de cinq jours ouvrés suivant le jour de présentation pour déterminer si une présentation est conforme. Cette période n’est pas réduite ou autrement affectée par la survenance, à la date de présentation ou après celle-ci, de la date limite de validité ou du dernier jour de présentation ».
Dans l’intérêt même du bénéficiaire du crédit (vendeur dans l’opération commerciale), le délai de présentation est généralement assez bref. Pour déterminer la date ultime de règlement effectif, il suffit d’ajouter les cinq jours ouvrés dont la banque dispose pour procéder à l’examen de conformité.
La réglementation française des délais de paiement – à la supposer applicable – est ainsi respectée lorsque le délai de présentation de l’accréditif – augmenté du délai d’examen de conformité – demeure dans les limites fixées par l’article L. 441-6 du Code de commerce.
En conclusion
A supposer la loi française applicable au contrat sous-jacent, le paiement « à vue » par voie de crédit documentaire – couramment utilisé dans la pratique internationale pour sécuriser les paiements internationaux – n’est pas en soi contraire à la réglementation française des délais de paiement.
Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 14 mars 2019, présidée par Monsieur Daniel TRICOT
Fait à Paris, le 14 mars 2019,
Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales
Daniel TRICOT