Avis n° 19-11 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur des pratiques concernant des factures dématérialisées

Avis n° 19-11 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur des pratiques concernant des factures dématérialisées

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 23 août 2018, sous le numéro 18-45, par laquelle un professionnel qui intervient sur la mise en place de flux dématérialisés de factures saisit la Commission afin de recueillir son avis sur  la légalité de la pratique qui consiste à rejeter le paiement d’une facture en raison de l’absence ou d’une erreur sur une « donnée métier ».
Vu les articles L. 440-1 et D. 440-1 à D. 440-13 du code de commerce ;
Les rapporteurs entendus lors de sa séance plénière du 19 septembre 2019 ;

I.    Objet de la saisine

Un professionnel, prestataire EDI, qui intervient entre autres sur la mise en place de flux dématérialisés de factures s’interroge sur la légalité de la pratique qui consiste à rejeter le paiement d’une facture en raison de l’absence ou d’une erreur sur une information dite « donnée métier » comme, par exemple : un numéro de commande, un numéro de bon de livraison, un numéro de ligne dans une commande, un code service, un nom de service.

Dans ce contexte, le professionnel se demande également si le principe même de dématérialisation légale (code général des impôts et du droit du commerce) est respecté.

II.    Analyse de la saisine

A.  Au regard des mentions obligatoires
a. Pour les contrats privés
L’article L. 441-3 du code de commerce précisait auparavant les mentions obligatoires devant figurer sur une facture, que celle-ci soit ou non dématérialisée. Ce texte, applicable au moment de la saisine, a été modifié par  l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 portant refonte du titre IV du livre IV du code de commerce relatif à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et aux autres pratiques prohibées. Il est devenu l’article L. 441-9 du code de commerce et entrera en vigueur dans sa nouvelle rédaction le 1er octobre 2019 en vertu du III de l’article 5 de l’ordonnance précitée, la date d’émission de la facture étant à prendre en compte à cet égard.

La facture doit mentionner :

  • le nom des parties ainsi que leur adresse (et leur adresse de facturation si elle est différente pour les factures émises à compter du 1er octobre 2019),
  • la date de la vente ou de la prestation de service,
  • la quantité, la dénomination précise, et le prix unitaire hors TVA des produits vendus et des services rendus,
  • toute réduction de prix acquise à la date de la vente ou de la prestation de services et directement liée à cette opération de vente ou de prestation de services, à l'exclusion des escomptes non prévus sur la facture,
  • la date à laquelle le règlement doit intervenir,
  • les conditions d'escompte applicables en cas de paiement à une date antérieure à celle résultant de l'application des conditions générales de vente,
  • le taux des pénalités exigibles le jour suivant la date de règlement inscrite sur la facture ainsi que le montant de l’indemnité forfaitaire pour frais de recouvrement due au créancier en cas de retard de paiement ;
  • et le numéro du bon de commande lorsqu'il a été préalablement établi par l'acheteur pour les factures émises à compter du 1er octobre 2019.

En cas d’omission d’une ou plusieurs mentions rendues obligatoires par le code de commerce sur les factures émises à compter du 1er octobre 2019, une amende administrative de 75 000 euros, pouvant être portée à 50% de la somme facturée ou qui aurait dû être facturée, est encourue pour les personnes physiques. Les personnes morales s’exposent quant à elles à une amende administrative de 375 000 euros.

L’ article R.123-237 du code de commerce liste également des mentions complémentaires à faire figurer sur les papiers d’affaires, dont la facture, à savoir : le numéro unique d’identification de l’entreprise, le lieu du siège social, la mention RCS, le numéro d’identification de l’entreprise ainsi que le cas échéant, l’état de liquidation de la société, la qualité de locataire-gérant ou de gérant-mandataire et si la société a constitué un patrimoine, l’objet de l’activité professionnelle à laquelle celui-ci a été affecté. Tout manquement à ces dispositions est puni d’une amende forfaitaire de 135€ (contraventions de la 4ème classe).

La facture est un document commercial mais elle est aussi et avant tout un document fiscal qui sert de support de collecte et de justificatif de la déduction de la TVA. La facturation est également régie par le code général des impôts aux articles 289-I-1 et 242 nonies A. Ce dernier énumère les mentions qui conditionnent la validité de toute facture au regard du droit fiscal.

Les données « métier » sur lesquelles porte la saisine n’en font pas partie.

En pratique, certaines données peuvent revêtir un caractère obligatoire en vertu de la volonté des parties signataires d’un contrat. En effet, ces dernières peuvent prévoir qu’une donnée dite « métier » sera  obligatoire d’un point de vue contractuel et devra figurer sur la facture. Toutefois, en cas d’absence d’une telle mention, la partie qui s’en prévaut ne pourrait, de manière licite, demander le report de la date d’émission de la facture pour autant.
Ainsi, le créancier confronté au rejet d’une de ses factures par un client au motif de l’absence d’une « donnée métier » sur celle-ci pourrait légalement, soit refuser d’émettre une facture rectificative, soit émettre une nouvelle facture portant la même date d’émission que celle précédemment rejetée.

b. En matière de commande publique

D’autres mentions obligatoires viennent s’ajouter à celles précédemment citées et doivent figurer sur les factures émises dans le cadre des contrats conclus avec l'État, les collectivités territoriales ou les établissements publics et leurs sous-traitants admis au paiement direct. Pour ces contrats passés dans le cadre de marchés publics, les entreprises doivent ainsi transmettre leurs factures sous forme dématérialisée via le portail Chorus pro.

Dans le cadre de la transition numérique, la facturation électronique devient en effet progressivement obligatoire depuis le 1er janvier 2017, en fonction de de la taille des entreprises :

  • 1er janvier 2017 : pour les grandes entreprises ;
  • 1er janvier 2018 : pour les entreprises de taille intermédiaire ;
  • 1er janvier 2019 : pour les petites et moyennes entreprises ;
  • 1er janvier 2020 : pour les microentreprises.

L’article 1er du décret n° 2016-1478 du 2 novembre 2016, codifié à l’article D. 2192-2 du code de la commande publique, recense les mentions obligatoires que doivent comporter les factures électroniques, d’une part pour respecter l’obligation de transmission dématérialisée, et d’autre part, pour être acceptées par les entités publiques destinataires.

Ces mentions ne se substituent pas aux mentions obligatoires précitées, mais viennent les compléter :

  • la date d’émission de la facture ;
  • la désignation de l’émetteur et du destinataire de la facture ;
  • le numéro unique basé sur une séquence chronologique et continue établie par l’émetteur de la facture, la numérotation pouvant être établie dans ces conditions sur une ou plusieurs séries ;
  • la date de livraison des fournitures ou d’exécution des services ou des travaux ;
  • la quantité et la dénomination précise des produits livrés, des prestations et travaux réalisés ;
  • le prix unitaire hors taxes des produits livrés, des prestations et travaux réalisés ou, lorsqu’il y a lieu, leur prix forfaitaire ;
  • le montant total hors taxes et le montant de la taxe à payer, ainsi que la répartition de ces montants par taux de taxe sur la valeur ajoutée, ou, le cas échéant, le bénéfice d’une exonération ;
  • le cas échéant, les modalités particulières de règlement ;
  • le cas échéant, les renseignements relatifs aux déductions ou versements complémentaires ;
  • lorsqu’il est exigé par l’entité publique destinataire, le numéro du bon de commande en cas de contrat exécuté au moyen de bons de commande, ou dans les autres cas, le numéro de l’engagement généré par le système d’information financière et comptable de l’entité publique ;
  • lorsqu’il est exigé par l’entité publique destinataire, le code d’identification du service en charge du paiement ;
  • les numéros d'identité de l'émetteur et du destinataire de la facture, attribués à chaque établissement concerné ou, à défaut, à chaque personne en application de l'article R. 123-221 du code de commerce.

Trois nouvelles mentions obligatoires ont donc été instaurées par le décret précité du 2 novembre 2016 pour permettre l’acheminement des factures électroniques par Chorus Pro :

  • l’identifiant de l’émetteur et du destinataire sur Chorus Pro (SIRET ou numéro de TVA intracommunautaire, RIDET, numéro TAHITI, etc.) ;
  • le « code service » permettant d’identifier le service exécutant, chargé du traitement de la facture, au sein de l’entité publique destinataire, lorsque celle-ci a décidé de créer des codes services afin de faciliter l’acheminement des factures qu’elle reçoit ;
  • le « numéro d’engagement » qui correspond à la référence à l’engagement juridique (numéro de bon de commande, de contrat, ou numéro généré par le système d’information de l’entité publique destinataire) et est destiné à faciliter le rapprochement de la facture par le destinataire.

Ainsi, la collectivité ou l’établissement public destinataire peut choisir d’imposer ou non à ses fournisseurs la mention du code service et/ou du numéro d’engagement sur leurs factures, et paramétrer sa fiche structure en ce sens. Dans l’hypothèse où l’entité publique décide de rendre obligatoire la mention d’un code service par ses fournisseurs, elle doit impérativement créer les codes services correspondants dans Chorus Pro.

Les factures ne satisfaisant pas à ce contrôle font l’objet d’un rejet dit « technique » par la solution Chorus Pro et ne peuvent être transmises au destinataire. Le fournisseur est alors informé que sa facture n’a pu être déposée.

Chorus Pro garantit la traçabilité assurant que le fournisseur a bien pris connaissance du rejet de la facture ainsi que de ses motifs.

Dans l’hypothèse où l’entité publique choisit de ne pas imposer ces mentions (code service et/ou numéro d’engagement) à ses fournisseurs, leurs factures pourront être transmises sur Chorus Pro sans renseignement de ces mentions, dont l’absence n’a pas d’incidence sur la validité de la facture.

B.  Au regard des règles en matière de délais de paiement

La saisine du professionnel doit aussi être analysée au regard de l’interdiction de toutes clauses ou pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement tels que plafonnés par le code de commerce, prévue par l’avant-dernier alinéa de l’article L. 441-16 du code de commerce.

  • Délais de paiement plafonnés par le code de commerce

Lorsqu’une première facture est refusée par le débiteur, le créancier de cette facture se trouve en général contraint d’en émettre une nouvelle. Or, cela a pour conséquence de retarder artificiellement le point de départ du délai de paiement tel qu’il est plafonné par le code de commerce.

En effet, en matière notamment de délais de paiement convenus comme en matière de transport routier de marchandises le délai plafond commence à courir à compter de la date d’émission de la facture (art. L. 441-10 I alinéa 2 et L. 441-11 II 5° du code de commerce). Le débiteur demandera à son créancier d’émettre une nouvelle facture comportant les mentions absentes sur la première afin que le point de départ du délai de paiement soit ainsi décalé.

Or même lorsque des mentions manquantes font partie de celles qui sont obligatoires en vertu du code de commerce ou du code général des impôts, le refus d’une facture par le créancier est susceptible de constituer une pratique ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement tels que plafonnés par le code de commerce. Elle expose à ce titre son auteur à une amende administrative de deux millions d’euros maximum s’il s’agit d’une personne morale.

En effet, les dispositions du code de commerce relatives aux délais de paiement n’ont pas prévu que le débiteur était dispensé du respect des plafonds applicables en la matière en cas d’absence d’une mention obligatoire. Sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, le débiteur qui règlerait en retard une facture au motif que celle-ci ne comporterait pas le numéro du bon de commande en exécution duquel elle a été émise s’exposerait aux sanctions encourues en cas de non-respect des délais de paiement légaux.

En pratique, les juges se prononcent régulièrement en matière contractuelle sur des cas de refus de paiement des factures par un cocontractant en raison de l’irrégularité ou de l’imprécision de la facture au regard de l'article L. 441-9 du code de commerce (ancien article L. 441-3 du même code).

Au regard de la jurisprudence existante, l’irrégularité formelle de la facture n'exclut pas l'existence et la validité de la dette (CA Bordeaux, 14 décembre 2017, n° 16/05741) et ne saurait permettre au débiteur de se soustraire à ses obligations (CA Chambéry, 12 septembre 2017 n° 15/02073).

Dans ce dernier arrêt, la cour d’appel a considéré qu’ « une erreur matérielle présente au sein d'une facture dont le paiement est sollicité par le créancier n'autorise pas le débiteur à se soustraire à son obligation de paiement. » En l’espèce, l’erreur portait sur le seul numéro de Siren, toutes les autres mentions de la facture, relatives à la dénomination, l'adresse du siège de la société, étant exactes. La cour a conclu qu’il ne saurait être sérieusement soutenu que « la moindre confusion dans l'esprit de la société débitrice ait pu émerger quant à l'identité de la personne cocontractante ».

  • Délais de paiement plafonnés par le code de la commande publique

Le code de la commande publique prévoit expressément que « Lorsque la demande de paiement ne comporte pas l'ensemble des pièces et des mentions prévues par la loi ou par le marché ou que celles-ci sont erronées ou incohérentes, le délai de paiement peut être interrompu une seule fois par le pouvoir adjudicateur » (article R. 2192-27).

Cette interruption du délai de paiement fait l'objet d'une notification au créancier par tout moyen permettant d'attester une date certaine de réception, précisant les raisons imputables au créancier qui s'opposent au paiement, ainsi que les pièces à fournir ou à compléter (article R. 2192-28).

Ainsi, dans le code de la commande publique, il est expressément prévu qu’une demande de paiement puisse être refusée par le pouvoir adjudicateur, ce refus entraînant une interruption du délai de paiement maximal auquel cette facture est soumise lorsque les mentions manquantes, erronées ou incohérentes sont prévues par la loi ou par le marché. Il conviendra donc de faire une appréciation de la situation au cas par cas afin de vérifier la légalité du rejet d’une facture par un pouvoir adjudicateur.

III. Conclusion :

Lorsqu’une facture est soumise aux délais de paiement du code de commerce, son destinataire ne peut la rejeter ou en refuser le paiement au motif que celle-ci ne comporterait pas une « donnée métier », quand bien même celle-ci serait obligatoire ou contractuellement prévue. Il s’expose en effet aux sanctions encourues en cas de dépassement des délais de paiement légaux ou de pratiques ayant pour effet de retarder abusivement le point de départ des délais de paiement tels que plafonnés par le code de commerce. L’émetteur de la facture s’exposera en revanche aux sanctions administratives prévues par l’article L. 441-9 II du code de commerce si une mention obligatoire fait défaut sur sa facture.

Lorsqu’une facture est soumise aux délais de paiement du code de la commande publique et qu’une mention prévue par la loi ou par le marché en est absente, le pouvoir adjudicateur peut la rejeter et interrompre à bon droit le délai dans lequel il est tenu de la régler.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 19 septembre 2019, présidée par Monsieur Daniel TRICOT

Fait à Paris, le 19 septembre 2019,
Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Daniel TRICOT