Avis n° 18-9 relatif à une demande d’avis d’un professionnel portant sur la légalité d’une pratique mise en œuvre dans le cadre de l’achat de produits MDD

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 20 novembre 2017 sous le numéro 17-51, par laquelle un professionnel interroge la Commission sur la légalité de la pratique d’un distributeur qui demande à son fournisseur de compléter un fichier d’analyse des coûts de revient des produits MDD qu’il lui vend.

Vu les articles L440-1 et D440-1 à D440-13 du code de commerce ;

Les rapporteurs entendus lors de ses séances plénières du 20 septembre et 25 octobre 2018 ;

La pratique consistant, pour un distributeur, à demander au fournisseur de produits MDD de compléter un fichier décomposant les coûts de revient par postes et sous-postes, c’est-à-dire des informations susceptibles d’être protégées au titre du secret des affaires, ne constitue pas une obtention illicite d’un secret des affaires au sens de l’article L. 151-4-2° du code de commerce, dès lors que le fournisseur acquiesce à cette demande, à moins que son consentement soit vicié ou ait été donné sous la menace d’une rupture brutale contraire à l’article L. 442-6-I-4° du code de commerce.

Dans le cas où le distributeur a la qualité de partenaire commercial et où il impose ou tente d’imposer, sans possibilité de négociation, la communication de ces informations sensibles, cette communication, non réciproque et sans contrepartie, crée un déséquilibre significatif contraire à l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce lorsqu’elle ne répond pas à un objectif légitime, notamment au regard de la responsabilité civile du distributeur vendant les produits sous sa marque.

En cas de refus de transmission des informations, la cessation éventuelle de la relation devrait s’effectuer conformément à l’article L. 442-6-I-5° du code de commerce, en respectant un préavis écrit suffisant au regard de la durée de la relation et des différents paramètres de nature à influencer le délai nécessaire à la reconversion pour le partenaire évincé, ce délai étant doublé pour les produits MDD. Si une telle rupture trouvait son origine dans la demande de communication des coûts de revient et si celle-ci était contraire à la législation nouvelle sur le secret des affaires et/ou au droit des pratiques restrictives de concurrence, elle serait imputable au distributeur.

La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie par une PME afin de recueillir son avis sur la conformité au droit de la pratique émanant d’un client, distributeur majeur dans son secteur d’activité, lui demandant de compléter un fichier d’analyse des coûts de revient des produits MDD qu’il lui vend. Il est précisé que cette pratique permettrait d’entrer dans le détail des coûts du fournisseur : le fichier à compléter comporte une décomposition des coûts, en pourcentage et en valeur, pour chacun des postes, mais aussi par sous-postes, en ce compris pour les différentes matières premières, l’outil de production et le packaging. La Commission est également interrogée sur le point de savoir si le refus de cette demande peut être un motif de rupture du contrat.

Comme l’avait souligné la Commission, dans sa recommandation 10-01 relative à l’élaboration des contrats de marques de distributeurs, « le distributeur (titulaire de la marque MDD) engage sa notoriété sur les produits dont il a confié la confection et/ou la fabrication au fournisseur ». Elle avait ajouté qu’« en sa qualité  de professionnel spécialiste de son marché, le fournisseur doit permettre au distributeur de s’assurer de la parfaite conformité des produits en cause au regard de la réglementation, de la protection de la sécurité et de la santé des consommateurs », estimant que « la responsabilité qui incombe ainsi au distributeur justifie la réalisation d’audits de qualité chez le fournisseur ». En revanche, la question de la protection du savoir-faire, au centre du présent avis, n’avait pas été abordée.

De façon préalable, il convient d’indiquer que la notion de produit sous marque de distributeur (MDD) peut se concevoir de deux façons :

  • Il peut s’agir d’un produit dont les caractéristiques sont définies par l’acheteur qui en assure la commercialisation sous sa responsabilité mais qui sont peu différentes de celles des produits vendus sous la marque du fournisseur. Le cahier des charges est alors peu contraignant.
  • Le produit peut répondre à une demande « sur mesure » de l’acheteur, correspondant à un cahier des charges plus contraignant. Il lui est alors spécifique, qu’il s’agisse d’un produit isolé ou qu’il appartienne à une gamme de produits lorsque l’acheteur a développé un « environnement » produits sous sa marque. En pareil cas, le produit résulte d’une analyse de marché et d’une démarche marketing précises. Il suppose un cahier des charges techniques complet, incluant le design et peut être, dans certains cas, le résultat de recherches particulières, voire faire l’objet de brevets (fabrication, process, …). Il nécessite des échanges importants sur les quantités, coûts de matière etc. entre les parties.

Le premier cas correspond à une approche de résultat avec des prix (d’achat et de vente) étudiés pour le positionnement commercial du produit. Ses caractéristiques sont validées avec le fournisseur.

Dans le second cas, le prix d’achat fait l’objet d’une analyse complète et précise destinée à approcher le meilleur prix de vente possible, qui sera ensuite défini selon les objectifs commerciaux de l’acheteur. S’agissant d’un produit conçu « sur mesure », l’acheteur doit également disposer de toutes les informations lui permettant de s’assurer de la parfaite conformité du produit en cause au regard tant de son cahier des charges que de la réglementation. Ce dernier pourrait avoir besoin par conséquent d’être en possession d’informations légitimes au regard du cahier des charges (ex. prix des matières, des emballages, des couts de fabrication, du transport), sans pour autant que la limite tenant au secret des affaires disparaisse. Ainsi, les informations sollicitées ne doivent pas, en principe, lui permettre de rentrer dans le détail du savoir-faire du fournisseur, notamment ses méthodes, processus et coûts de conception et fabrication, par exemple en disposant d’une décomposition trop précise des différents postes.

Dans tous les cas, la pratique consistant à demander à son fournisseur de produits MDD de compléter un fichier décomposant par postes et sous-postes les coûts de revient doit être appréciée au regard de la loi n° 2018-670 du 30 juillet 2018 relative à la protection du secret des affaires, dans le cas où cette législation nouvelle a vocation à s’appliquer aux faits litigieux.

L’article L. 151-1 du code de commerce, issu de cette loi de transposition de la directive (UE) 2016/943 du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2016 sur la protection des savoir-faire et des informations commerciales non divulgués (secrets d'affaires) contre l'obtention, l'utilisation et la divulgation illicites, assujettit la qualification d’information protégée au titre du secret des affaires à la réunion de trois conditions cumulatives. L'information ne doit pas être « en elle-même ou dans la configuration et l'assemblage exact de ses éléments, généralement connue ou aisément accessible pour les personnes familières de ce type d'informations en raison de leur secteur d'activité ».  Elle doit revêtir « une valeur commerciale, effective ou potentielle, du fait de son caractère secret ». Elle doit enfin faire « l'objet, de la part de son détenteur légitime, de mesures de protections raisonnables, compte tenu des circonstances, destinées à en conserver le secret ».

Tant le coût de revient du produit en lui-même que la décomposition détaillée de celui-ci, pouvant porter tant sur les matières premières, l’outil de production ou le packaging  peuvent être révélateurs du savoir-faire de l’entreprise voire même de ses secrets de fabrique s’agissant des méthodes et/ou outils utilisés, et susceptibles de correspondre à des informations objectivement secrètes et ayant une valeur commerciale. Ces informations doivent faire l’objet de mesures de protection raisonnables  par l’entreprise concernée, qu’il s’agisse de mesures prises en interne à destination des salariés, telles que la stipulation d’une clause de confidentialité les identifiant comme des données sensibles dans les contrats de travail ou le règlement intérieur, ou de mesures à destination de l’extérieur, telles qu’un cryptage, une sécurisation de l’accès à ces données ou une sécurisation de l’accès physique aux locaux. Si de telles mesures de protection ont effectivement été instituées par le fournisseur afin de protéger spécifiquement le secret des informations en cause, les données dont la transmission est demandée par le distributeur constituent des informations protégées au titre du secret des affaires.

L’article L. 151-4 du code de commerce définit l’obtention illicite d’un secret des affaires. Toutefois, s’il vise en son 2°, de façon générale, l’obtention qui « résulte de tout autre comportement considéré, compte tenu des circonstances, comme déloyal et contraire aux usages du commerce », il précise que l’obtention « est illicite lorsqu’elle est réalisée sans le consentement de son détenteur légitime ». Il paraît donc sans application lorsque le fournisseur acquiesce à la demande de son client lui demandant la transmission de ces informations, sauf à pouvoir considérer que le consentement donné est vicié ou encore à le combiner avec la règle de l’article L. 442-6-I-4° du code de commerce qui appréhende « le fait d’obtenir ou tenter d’obtenir sous la menace d'une rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales, des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente ou les services ne relevant pas des obligations d'achat et de vente ». En effet, les conditions de protection des données peuvent constituer des modalités de vente ou de service fixées par les parties, ne relevant pas des obligations d’achat et de vente au sens de ce texte.

La pratique est également susceptible d’être examinée sur le fondement de l’article L. 442‑6‑I-2° du code de commerce.

Pour pouvoir invoquer le bénéfice du texte, encore faut-il avoir la qualité de « partenaire commercial » au sens de cette disposition.

Dans un arrêt du 27 septembre 2017 (Paris Pôle 5 ch. 4, 27 septembre 2017, n°16-00671), la Cour d’appel de Paris a identifié le partenaire au « professionnel avec lequel une entreprise commerciale entretient des relations commerciales pour conduire une activité quelconque, ce qui suppose une volonté commune et réciproque d’effectuer de concert des actes ensemble dans des activités de production, de distribution ou de services ». Elle a encore précisé que deux entités deviennent partenaires, selon deux modalités, à savoir « par la signature d’un contrat de partenariat », lequel formalise « la volonté des parties de construire une relation suivie », ou « parce que leur comportement traduit la volonté de développer des relations stables et établies dans le respect des règles relatives à la concurrence pour coopérer autour d’un projet commun ». La Cour d’appel paraît ainsi exiger une relation présentant certains caractères (stable, suivie) la rapprochant de la relation établie.

Le 31 janvier 2018, la Cour de cassation a énoncé le principe selon lequel « le partenariat commercial visé à l’article L. 442-6-I-1° et 2° du code de commerce s'entend d'échanges commerciaux conclus directement entre les parties » et a approuvé les juges du fond d’avoir écarté l’application du texte en l’absence de relation commerciale entre les parties au litige. Si la Chambre commerciale pourrait sembler retenir une conception moins exigeante que celle, adoptée par la Cour d’appel de Paris dans son arrêt du 27 septembre 2017, il reste que dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de rejet du 31 janvier 2018, il n’existait aucune relation entre les parties au litige, de sorte qu’il n’était pas nécessaire de s’interroger sur les caractéristiques d’une relation qui faisait totalement défaut.

En l’état des informations limitées dont la Commission dispose, il sera supposé ci-après que le fournisseur des produits MDD a la qualité de partenaire commercial au sens de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

Il reste alors à savoir si les deux éléments constitutifs cumulativement requis, consistant d’une part, dans « le fait de soumettre ou tenter de soumettre » et, d’autre part, en un déséquilibre significatif, sont satisfaits.

Le premier élément constitutif a été identifié par la Cour de cassation comme le fait d’imposer ou tenter d’imposer sans possibilité de négociation. Tel pourrait être le cas, par exemple, si le distributeur menaçait son fournisseur de rompre brutalement le contrat, ou de ne pas contracter, si les informations sollicitées ne lui étaient pas communiquées. Les éléments de fait en possession de la Commission, faisant simplement état d’une demande émanant de la part d’un distributeur majeur dans son secteur d’activité ne lui permettent pas de se prononcer avec certitude. S’il est vrai que la position du distributeur, en tant qu’acteur majeur de son secteur, peut constituer un indice de rapports de forces déséquilibrés, cette seule considération ne peut suffire. Elle doit être accompagnée d’autres indices tendant à démontrer que le client a soumis ou tenté de soumettre son fournisseur, par exemple le fait que le fournisseur n’a pas eu la possibilité de négocier les clauses du contrat type proposé par le distributeur.

La Cour d’Appel de Paris a en effet pu juger que si la structure d’ensemble du marché de la grande distribution peut constituer un indice de rapport de forces déséquilibrés, se prêtant difficilement à des négociations véritables entre distributeurs et fournisseurs, cette seule considération ne peut suffire à démontrer l’élément de soumission ou de tentative de soumission, même en cas de contrat-type (rappr. Paris Pôle 5 Ch. 4 20 décembre 2017, RG n° 13/04879 ; Paris Pôle 5 ch. 4, 16 mai 2018, n° 17/11187). Si cette jurisprudence a été rendue à propos du secteur bien spécifique de la grande distribution, en considération duquel la disposition légale a été adoptée, elle devrait également valoir a fortiori en dehors de ce secteur.

S’agissant du second élément, consistant en un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, il y a lieu de rechercher, au regard de la grille d’appréciation concrète développée par la jurisprudence, si l’obligation en cause est réciproque ou assortie d’une contrepartie ou pourvue d’une justification.

En l’occurrence, il n’est pas question de réciprocité. En revanche, il apparaît que, dans une certaine mesure, la communication d’informations, quoique sensibles pour leur détenteur, peut répondre à une justification légitime, notamment au regard de la responsabilité civile du distributeur vendant des produits sous sa marque. Cela dépend cependant, non seulement du type de produits MDD et du secteur d’activités, mais aussi du contenu précis des informations demandées. En outre, et sans qu’il s’agisse à proprement parler d’une contrepartie telle que l’envisage la jurisprudence pour l’application du déséquilibre significatif, il convient de s’interroger sur les précautions accompagnant la transmission des informations sensibles quant à l’utilisation dont elles peuvent faire l’objet. Ainsi conviendrait-il que des garanties soient données en termes d’utilisation, par exemple par la stipulation d’une clause de confidentialité visant à protéger les données fournies par le fournisseur au distributeur.

Dans le cas où la communication des informations demandées ne répondrait pas à un objectif légitime, la pratique serait sanctionnable sur le fondement de l’article L. 442-6-I-2° du code de commerce.

Dans le cas où les informations demandées seraient à l’origine d’un déséquilibre prima facie, il faut rappeler que, conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation, il y a lieu de procéder à une appréciation contextuelle, au regard de l’économie globale du contrat et in concreto et que l’auteur allégué de la pratique litigieuse a la possibilité de rapporter la preuve d’un rééquilibrage du contrat.

Enfin, dans l’hypothèse où le fournisseur refuserait de transmettre les informations demandées par son client et où la relation prendrait fin, il convient d’envisager si la pratique est sanctionnable sur le fondement de l’article L. 442-6-I-5° du code de commerce.

La mise en œuvre de ce texte suppose « une relation commerciale établie », c’est-à-dire stable, suivie et significative.

Si tel est le cas, la rupture à l’initiative de l’une des parties suppose le respect d’un  préavis écrit, ce délai devant être suffisant au regard de la durée de la relation ainsi que, selon la jurisprudence, de différents paramètres de nature à influencer le délai nécessaire à la reconversion pour le partenaire évincé, le législateur ayant expressément prévu qu’en cas de produits MDD, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur.
Si une telle rupture trouvait son origine dans la demande de communication des coûts de revient et si celle-ci était contraire à la législation nouvelle sur le secret des affaires et/ou au droit des pratiques restrictives de concurrence, elle serait imputable au distributeur.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 25 octobre 2018, présidée par Monsieur Daniel TRICOT

Fait à Paris, le 25 octobre  2018,
Le vice-président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Daniel TRICOT

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