Avis n° 14-06 relatif à une demande d’avis d’un syndicat de fabricants du secteur automobile sur les nouvelles conditions générales d’achat proposées à ses membres par un constructeur français d’automobiles

L’avis de la CEPC est sollicité sur le contenu des NCGA du constructeur au regard des dispositions du titre IV du livre quatrième du code de commerce (« De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d’autres pratiques prohibées »), des dispositions françaises et européennes relatives aux pratiques anticoncurrentielles, ainsi que d’un code de bonnes pratiques qui serait applicable à la filière concernée.

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 29 octobre 2013 sous le numéro 13-118 par laquelle le président d’un syndicat de fabricants du secteur automobile a sollicité son avis sur les nouvelles conditions générales d’achat (NCGA) proposées à ses membres par un constructeur français d’automobiles ;

Vu les articles L 440-1 et D 440-1 à D 440-13 du code de commerce ;

Le rapporteur entendu lors de ses séances plénières des 15 mai et 19 juin 2014 ;

Adopte l’avis suivant :

La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie le 28 octobre 2013 par un syndicat de fabricants du secteur automobile, afin de recueillir son avis sur la conformité des nouvelles conditions générales d’achat (NCGA) d’un constructeur français d’automobiles aux dispositions indiquées ci – après.

Objet de la saisine

L’avis de la CEPC est sollicité sur le contenu des NCGA du constructeur au regard des dispositions du titre IV du livre quatrième du code de commerce (« De la transparence, des pratiques restrictives de concurrence et d’autres pratiques prohibées »), des dispositions françaises et européennes relatives aux pratiques anticoncurrentielles, ainsi que d’un code de bonnes pratiques qui serait applicable à la filière concernée.

Selon la saisine, les NCGA du constructeur seraient « entrées en vigueur au 15 juillet 2013 de manière parfaitement unilatérale et au risque, pour les « fournisseurs » qui refuseraient de les signer, de ne plus recevoir aucune consultation pour l’attribution de marchés futurs », les offres de discussion formulées par le syndicat ayant, avant comme après cette date, été écartées par le constructeur.

Le texte de ces NCGA est conçu selon un raisonnement juridique inspiré du droit des pays de common law, et constitue un modèle type de conditions générales d’achat au contenu à la fois très large et très détaillé. Il couvre la plupart des éléments habituellement prévus dans les contrats conclus entre constructeurs et fournisseurs du secteur, et définit avec minutie les obligations imposées à ces derniers.

La Commission ne s’est pas prononcée sur le contenu des NCGA du constructeur au regard des dispositions françaises et européennes relatives aux pratiques anticoncurrentielles, ainsi qu’au regard d’un code de bonnes pratiques qui serait applicable à la filière concernée.

Conformité des NCGA aux dispositions du titre IV du livre quatrième du code de commerce

Plusieurs stipulations insérées dans les NCGA paraissent non conformes aux dispositions de l’article L 442-6 du code de commerce relatives aux déséquilibres significatifs (art. L 442-6-I-2°), à la rupture brutale totale ou partielle d’une relation commerciale établie (art. L 442-6-I-5°) et à la menace de rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales (art. L 442-6-I-4°).

I Stipulations susceptibles de constituer un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties au sens de l’article L 442-6-I-2° du code de commerce :

1- Les NCGA précisent qu’elles sont exclusives (art. 2). Ce caractère exclusif écarte a priori toute possibilité d’en négocier le contenu. Les comportements consistant à imposer sans négociation contreviennent aux dispositions de l’article L 442-6-I-2° (CEPC avis n°13-10), puisqu’ils correspondent au fait « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». La stipulation qualifiant d’exclusives les NCGA semble donc non conforme à l’article précédent.

2- Les NCGA contiennent des stipulations conférant au constructeur un pouvoir unilatéral. En droit positif de telles stipulations ne sont pas nécessairement illicites, mais elles sont susceptibles de révéler un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties lorsque le pouvoir unilatéral est réservé à un contractant et laissé à sa discrétion.

Tel est le cas des stipulations énoncées aux articles 3, 9, 10, 34 et 35 d’où il ressort que le constructeur, à sa discrétion, peut :

- modifier les conditions contractuelles en matière de quantités et de fréquences de livraisons, la stipulation concernée ne prévoyant pas l’obligation de consentir un délai pour l’entrée en vigueur de ces modifications (art. 3),

- juger le fournisseur responsable de l’inexécution d’une modification décidée comme indiqué précédemment (art. 3),

- estimer qu’il existe des motifs raisonnables d’incertitude affectant la poursuite de l’exécution du contrat par le fournisseur et que celui - ci ne justifie pas d’une garantie adéquate à cet égard (art. 9),

- résilier le contrat aux torts du fournisseur dans le cas précédent s’il ne justifie pas d’une garantie adéquate (art.9),

- fixer le prix des produits qu’il a modifiés à défaut d’accord avec le fournisseur (art. 10),

- résilier tout ou partie du contrat en cas d’inexécution par le fournisseur de l’une quelconque de ses obligations contractuelles (art. 34),

- résilier tout ou partie du contrat avant sa date d’expiration à tout moment et pour quelque motif que ce soit (art. 35).

3- D’autres stipulations des NCGA paraissent à l’origine d’un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties, parce qu’elles imposent à un contractant une obligation défavorable, sans réciprocité ni contrepartie véritable ou justification objective. Il en est ainsi de la stipulation précisant que toute information technique ou autre information transmise par le fournisseur au constructeur ou à ses sociétés affiliées ne fera l’objet d’aucune obligation de confidentialité ou de non– divulgation, à moins que les parties n’aient conclu un accord de confidentialité ou de non–divulgation distinct avant la date de prise  d’effet du contrat (art. 30).

Erigée par la stipulation précédente en règle de principe susceptible d’être écartée seulement par exception, la renonciation du fournisseur à la confidentialité des informations techniques transmises au constructeur doit être rapprochée d’une autre stipulation des NCGA qui énonce la règle inverse au profit du constructeur (art. 31). Cette dernière stipulation prévoit que le fournisseur gardera la confidentialité de toutes informations transmises par le constructeur, sauf consentement préalable écrit du constructeur.

C’est la conjonction de ces deux stipulations (art. 31 et 32) qui révèle l’ampleur du déséquilibre imposé au fournisseur en la matière. D’une part, ce déséquilibre est réel, puisque l’obligation de principe du fournisseur de renoncer à la confidentialité lui est défavorable, sans réciprocité ni contrepartie véritable ou justification objective. D’autre part, ce déséquilibre est aggravé par le fait que le constructeur est exempté de cette même obligation. En d’autres termes, sans aucune explication, le contrat permet au constructeur ce qu’il interdit au fournisseur.

II Stipulations dont l’application est susceptible de constituer une rupture brutale totale ou partielle de relation commerciale au sens de l’article L 442-6-I-5° du code de commerce :

Les NCGA contiennent des stipulations dont l’application est susceptible de conduire à une rupture brutale totale ou partielle de relation commerciale visée par l’article L 442-6-1-5°, soit par modification unilatérale substantielle des conditions du contrat, soit par résiliation à l’initiative du constructeur.

1- Rupture brutale de relation commerciale par modification unilatérale substantielle des conditions du contrat à l’initiative du constructeur.

Selon la jurisprudence, une modification substantielle des conditions du contrat imposée unilatéralement par une partie est une rupture de ce contrat, le caractère substantiel de la modification relevant de l’appréciation souveraine des juges du fond (est suffisamment conséquente pour être analysée en une rupture, la modification par une compagnie aérienne, de la zone géographique d’exécution du contrat conclu avec une société d’enlèvement de bagages dans les aéroports, CA Paris, 16 janv. 2013 ; constitue une rupture partielle la réorganisation par un fabricant de son activité commerciale supprimant un marché national du secteur confié à un grossiste, Cass. com. 9 oct. 2012, n°11-23.549, F-D ).

Imposée sans préavis, cette modification constitue une rupture brutale de la relation commerciale établie par le contrat ainsi modifié.

L’examen des NCGA révèle qu’une telle modification peut résulter tant du caractère exclusif des NCGA, que des stipulations prévoyant expressément la possibilité de modifier des conditions du contrat.

- Etant rappelé qu’il ressort de ses stipulations qu’étant exclusives, les NCGA ne sont pas négociables, leur application telle quelle et sans préavis à un contrat en cours avec un fournisseur s’analyse en une rupture brutale de la relation commerciale établie par ce contrat, si elle emporte une modification substantielle de ses conditions.

- La stipulation des NCGA permettant au constructeur, à sa discrétion, de modifier les conditions contractuelles en matière de quantités et de fréquences de livraisons, sans lui imposer un délai pour l’entrée en vigueur de ces modifications (art. 3) peut également conduire à une rupture brutale de la relation commerciale, si cette modification est substantielle.

2- Rupture brutale de relation commerciale par résiliation du contrat à l’initiative du constructeur.

Certaines stipulations des NCGA apparaissent susceptibles de contrevenir aux dispositions de l’article L 442-6-I-5°, même si elles conditionnent le droit du constructeur de résilier le contrat au respect d’un préavis dont elles posent le principe ou indiquent la durée. En effet, la résiliation du contrat dans le respect de certaines conditions peut s’avérer brutale au sens des dispositions précédentes, dès lors que les conditions visées n’imposent pas un préavis d’une durée suffisante au regard de la diversité des paramètres fixés par la jurisprudence en la matière.

III Stipulations susceptibles de constituer une menace de rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales au sens de l’article L 442-6-I-4° du code de commerce :

Des stipulations des NCGA constitueraient probablement une menace de rupture brutale totale ou partielle des relations commerciales dans les termes de l’article L 442-6-I-4° du code de commerce, si le résultat obtenu ou recherché par ces stipulations était « des conditions manifestement abusives concernant les prix, les délais de paiement, les modalités de vente, ou les services ne relevant pas des obligations d’achat ou de vente ».

Tel pourrait être le cas des stipulations affirmant le caractère exclusif, donc non–négociable des NCGA, si le constructeur renonçait à rompre brutalement, totalement ou partiellement un contrat en cours, sous réserve que le fournisseur accepte telles quelles les NCGA et les conditions abusives précitées.

Il pourrait en aller de même des stipulations des NCGA (art. 3, 9, 34 et 35) autorisant le constructeur à résilier le contrat si le fournisseur refuse une modification des conditions contractuelles, alors que les conditions modifiées seraient abusives au sens de l’article L 442-6-I-4°.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 19 juin 2014, présidée par Monsieur Razzy HAMMADI.

 

Fait à Paris, le 19 juin 2014

Le président de la Commission d’examen des pratiques commerciales

Razzy HAMMADI