Avis n° 09-04 sur certaines pratiques de vente mises en oeuvre dans le secteur des manuels scolaires.

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 05/01/08 sous le numéro 09-001 par laquelle le gérant d’une société, éditeur de logiciels, a sollicité un avis de la Commission d’examen des pratiques commerciales sur les méthodes de vente mises en œuvre par une entreprise ;
Vu les articles L 440-1 et D 440-1 à 440-13 du code de commerce ;
Le rapporteur entendu lors de sa séance du 5 mars 2009 ;

Adopte l’avis suivant :

La Commission d’examen des pratiques commerciales a été saisie, le 18 décembre 2008, par une entreprise qui édite des logiciels de gestion pour PME, PMI, commerces de détail et établissements scolaires. Depuis 1977, elle a plus particulièrement développé pour les lycées et collèges un logiciel original de tenue des stocks, de service d’inventaire, de gestion des prêts et des achats. Cette activité représente actuellement environ la moitié  de son chiffre d’affaires. Le nombre d’établissements qui recourent à ce type de gestion est encore très restreint : entre 600 et 1000 sur 12000 collèges et lycées.

Depuis plus de 5 ans, cette entreprise se trouve confrontée à la concurrence indirecte d’une société dont l’activité consiste en la vente en gros de livres, en particulier de manuels scolaires. Afin de rendre son offre plus attractive, cette société propose, en contrepartie de l’achat de manuels scolaires, la fourniture gratuite d’un logiciel de gestion de prêts assortie de la fourniture et de la pose d’étiquettes comportant un code-barre sur les livres fournis.

Cette pratique se traduit, pour l’entreprise par la perte de clients acquis ou potentiels, ce qui la conduit à saisir la CEPC pour qu’elle se prononce sur la licéité de cette forme de concurrence.

Aucune des dispositions du livre IV, titre IV du code de commerce relatives à la transparence, aux pratiques restrictives de concurrence et autres pratiques prohibées ne s’oppose au mode de commercialisation mis en œuvre par le grossiste. Il est notamment exclu de voir dans la fourniture gratuite du logiciel une revente à perte puisque il s’agit d’une prestation de services. Quant à la notion de déséquilibre significatif instaurée par l’article L 442-6 1 2°, elle ne vise que des relations verticales et ne peut être invoquée pour apprécier une situation de concurrence entre opérateurs situés au même niveau et n’ayant pas de relation commerciale. En revanche, la situation évoquée par la saisine est susceptible de se heurter à d’autres dispositions : celles prohibant les ventes avec primes et celles relatives au prix du livre.

Les ventes avec prime sont interdites, sous réserve de certaines exceptions, par l’article L 121-35 du code de la consommation. La vente avec prime est définie comme toute vente « …donnant droit, à titre gratuit, immédiatement ou à terme, à une prime consistant en produits, biens ou services sauf s’ils sont identiques à ceux qui font l’objet de la vente ou de la prestation »  La fourniture d’un logiciel constitue donc une prime obtenue par l’achat de livres. Toutefois l’interdiction ne s’applique qu’aux ventes faites au consommateur. Un établissement d’enseignement qui achète des ouvrages pour les prêter à ses élèves doit-il être considéré comme un consommateur au regard de ce texte ?

Pour le droit communautaire, le consommateur est défini comme toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité professionnelle (directive 93/13 du 5 avril 1993, art 2, b ), ce qui exclurait les établissements d’enseignement. Par ailleurs, si la jurisprudence étend l’obligation générale d’information du consommateur sur les caractéristiques essentielles des biens et services à tout acheteur profane, fût-il professionnel, cette appréciation n’a pas une portée générale. La vente avec prime a été interdite avant tout pour éviter que des consommateurs ne soient conduits à acheter des produits sans considération pour leurs qualités propres, mais pour l’attrait, souvent factice, de la prime jointe à ces produits. Dès lors, l’interdiction ne vise que les ventes ou prestations de services à des personnes physiques qui agissent pour la satisfaction de leurs besoins personnels. Elle ne s’applique donc pas au grossiste en cause.

La loi n°81-766 du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite « loi Lang », impose à tout éditeur ou importateur de fixer un prix de vente au public.  Le détaillant doit revendre les livres à un prix compris entre 95% et 100% du prix fixé par l’éditeur. Cette mesure ne vise donc pas les grossistes qui peuvent consentir des remises sur ce prix. Toutefois l’article 6 de la loi précitée dispose : « Les ventes à prime ne sont autorisées, sous réserve des dispositions de la loi n° 51-356 du 20 mars 1951 modifiée et de la loi n° 73-1193 du27 décembre modifiée, que si elles sont proposées, par l’éditeur ou l’importateur, simultanément et dans les mêmes conditions à l’ensemble des détaillants ou si elles portent sur des livres faisant l’objet d’une édition exclusivement réservée à la vente par courtage, par abonnement ou par correspondance » .

Ce texte étend donc l’interdiction générale des ventes avec primes qui ne vise que les ventes au consommateur puisqu’il régit notamment les ventes de l’éditeur aux détaillants. Il est donc susceptible de s’appliquer en l’occurrence, même si les établissements d’enseignement n’ont pas la qualité de consommateur. Or les ventes aux lycées et collèges ne peuvent bénéficier d’une des exceptions à l’interdiction élargie prévue par ce texte. En effet, les établissements clients n’ont pas la qualité de détaillant puisqu’ils ne revendent pas les ouvrages achetés et le grossiste n’est ni éditeur, ni importateur. Par ailleurs, les livres vendus ne sont pas réservés à la vente par courtage, abonnement ou correspondance.

Ainsi, même si l’interdiction spécifique des ventes de livres avec prime a été adoptée pour éviter que ne soit contournée l’obligation de vendre au prix minimum imposé par l’éditeur, l’interprétation stricte du texte conduit à l’appliquer à la situation décrite par l’entreprise qui a saisi la CEPC. Cette entreprise paraît donc fondée à engager une action en cessation ou en réparation devant le juge civil compétent. Elle pourrait également envisager de saisir l’Autorité de la concurrence, notamment si elle estimait que le grossiste détient sur le marché pertinent une position dominante et que  la pratique en cause crée un mécanisme d’enchaînement abusif, la CEPC ne garantissant pas le sort d’une telle démarche.

Délibéré et adopté par la Commission d’examen des pratiques commerciales en sa séance plénière du 5 mars  2009, présidée par M. Jean-Paul Charié.

Fait à Paris, le 5 mars 2009

Le Président de la Commission
d’examen des pratiques commerciales

Jean-Paul CHARIÉ