Avis n° 04-08 relatif à la conformité au droit des pratiques d'enchères électroniques inversées.

La Commission d’examen des pratiques commerciales,

Vu la lettre enregistrée le 27 janvier 2004 sous le numéro 04-002, par laquelle le directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes lui demande de rendre un avis relatif aux enchères électroniques inversées visant à mettre en évidence les conditions auxquelles les pratiques observées seraient conformes au droit ;

Vu l'article L.440-1 du code de commerce ;

Vu le décret n° 2001-1370 du 31 décembre 2001 portant organisation de la Commission d'examen des pratiques commerciales, modifié par le décret n° 2002-1370 du 21 novembre 2002 ;

Madame le professeur Muriel CHAGNY, rapporteur, entendue lors de ses séances plénières des 17 novembre et 15 décembre 2004;

Adopte l'avis suivant :

Précisions liminaires

L'avis concerne uniquement les relations inter-entreprises et ce, à l'exclusion des procédures utilisées pour la passation de marchés publics, qui font l'objet d'une réglementation spécifique.
Il est limité aux pratiques connues du rapporteur et qui ont, dès lors, pu être soumises à son appréciation. Il n'a aucune prétention à l'exhaustivité.
Il importe d'apporter une précision terminologique. Afin d'appréhender tout l'éventail des pratiques d'enchères électroniques inversées - lesquelles ne sont pas limitées aux seules ventes-, seront utilisés les termes économiques d' " offreurs de biens et de services " et de " demandeurs ".

Description sommaire et contexte économique

Les enchères électroniques inversées se présentent comme une nouvelle variété de pratiques auxquelles certains opérateurs professionnels recourent, par l'intermédiaire d'une place de marché, depuis quelques années, pour satisfaire une partie de leurs besoins. Elles sont mises en œuvre dans différents secteurs d'activités (secteur industriel avec notamment l'automobile et l'aéronautique ; secteur de la distribution des produits de grande consommation). Elles concernent les produits auto-consommés (papier, équipement informatique), les produits destinés à la production, les produits destinés à la revente (produits premier prix ou produits sous marque de distributeur) ainsi que les services (sélection des prestataires en matière de formation ou de nettoyage par exemple, transport).

S'il est possible de faire apparaître quelques traits communs, ces pratiques se révèlent diverses à plusieurs égards.

Ce procédé permet aux demandeurs de biens ou de services de mettre en concurrence, via une place de marché, plusieurs offreurs. Ces derniers reçoivent en principe préalablement à la séance d'enchères un cahier des charges. Selon que les enchères sont fermées ou ouvertes, une présélection des offreurs admis à participer à l'enchère est effectuée ou non.

Les offreurs sont invités à une séance d'enchères en ligne, à la date et à l'heure préalablement communiquées. A la différence de l'enchère classique, le prix de départ fixé par l'initiateur de l'enchère est un prix maximum et les enchères se font à la baisse. La procédure d'enchère peut aboutir à la conclusion d'un contrat avec l'enchérisseur le moins coûtant ou le mieux disant (les critères pouvant varier selon les exigences de l'initiateur de l'enchère), mais cela n'est pas systématique.

De même, le terme générique de place de marché masque une grande variété. Ces lieux de transaction virtuels permettent la mise en relations de donneurs d'ordre et d'offreurs dans un environnement multilatéral. Cependant, si certaines places sont publiques et accessibles largement, moyennant le paiement d'un prix, d'autres rassemblent des professionnels d'un secteur d'activité ou encore sont gérées par une entreprise ou un groupe pour son propre approvisionnement. Les places de marché ont déjà retenu l'attention des autorités de la concurrence et fait l'objet d'études, de sorte que les questions y relatives ne seront pas abordées directement ici.

Le succès - relatif, pour le moment - des enchères électroniques inversées tient aux avantages qui leur sont prêtés, à savoir essentiellement une réduction du coût de l'approvisionnement (baisse des prix, diminution des coûts de transaction), un élargissement du choix au profit des demandeurs et corrélativement une possibilité de diversification pour les offreurs, une plus grande transparence dans les relations interprofessionnelles, une plus grande rapidité du processus de décision.

Cela étant, les attraits de ces pratiques sont contestés et elles suscitent des inquiétudes notamment en terme de réduction des marges, mais aussi d'abaissement de la qualité et de l'innovation.

A cet égard, il importe de préciser que l'avis ne se prononce pas sur les avantages et dangers des enchères électroniques inversées, en dehors de l'examen de leur conformité au droit.

Contexte juridique

Afin de mettre en évidence d'éventuels risques de contrariété au droit positif français, les pratiques d'enchères électroniques inversées ont été examinées au regard des textes législatifs et réglementaires en vigueur et à la lumière des décisions rendues.

Si l'on excepte les dispositions concernant la passation des marchés publics - laquelle est exclue du présent avis -, il n'existe pas à l'heure actuelle de règle spécifique aux enchères électroniques inversées.

Si ces pratiques retiennent l'attention des instances communautaires, les réflexions semblent plutôt s'orienter sur la voie de la promotion de l'autorégulation par des codes de bonne conduite.

Il existe d'ores et déjà différents " codes de bonne conduite " établis, selon les cas, par des professionnels de différents secteurs économiques, de diverses fédérations professionnelles ou intersectorielles. Il reste que ces documents, consécutifs à des initiatives privées de rédaction, ont uniquement une valeur d'éclairage pour cette étude.

En l'absence de dispositions spécifiquement consacrées aux enchères électroniques inversées, ces pratiques sont examinées sous le prisme du droit de la concurrence et du droit des contrats (droit commun des obligations, mais aussi droit spécial des contrats et notamment règles applicables aux enchères).

Les règles applicables conduisent à privilégier dans le présent avis une approche générale plutôt que sectorielle. Cela n'interdit évidemment pas une adaptation aux besoins particuliers de tel ou tel secteur, sous réserve du respect des principes qui se dégagent du droit positif.

S'il est ci-après postulé que le droit français est applicable, il importe cependant de souligner les possibilités de délocalisation accrue qu'offre le commerce électronique. La dématérialisation des actes ainsi permise pose avec acuité le problème de la loi applicable et, corrélativement, conduit à mentionner le risque de voir se développer un phénomène de désaffection à l'égard des législations trop contraignantes aux yeux des agents économiques.

A cet égard, il convient de rappeler que, selon la théorie de l'effet, le droit de la concurrence appréhende les pratiques à raison de la localisation de leurs effets, indépendamment du lieu d'établissement des entreprises concernées. En revanche, s'agissant du droit contractuel, les parties ont la faculté de choisir la loi applicable, étant entendu qu'en l'absence de clause d'electio juris dans le contrat, c'est la loi du pays d'origine - lieu à partir duquel est fournie la prestation - qui s'applique, notamment lorsqu'il s'agit de prestations de services - comme c'est essentiellement le cas pour les places de marché.

Examen de la conformité au droit français

L'examen de la conformité au droit français est effectué en envisageant successivement les pratiques d'enchères électroniques inversées en elles-mêmes (I) et leurs conséquences (II).

I - Les pratiques d'enchères électroniques inversées

Les enchères électroniques inversées, qui se distinguent des pratiques courantes habituelles du négoce, font l'objet de contestations quant à leur principe même, de sorte qu'il importe de s'interroger pour commencer sur leur licéité (A). Par ailleurs, il convient de mettre en évidence les risques de dérives que présentent ces pratiques (B).

A - Licéité du procédé des enchères électroniques inversées

La vérification de la licéité du procédé des enchères électroniques inversées doit être effectuée à l'épreuve du droit des contrats (1) et du droit de la concurrence (2). Il est également possible de s'interroger sur un cantonnement du procédé à certains produits ou certaines opérations (3).

1) Licéité au regard du droit des contrats

a) La législation spéciale aux enchères

Au regard de la réglementation des enchères, plusieurs raisons pourraient conduire à douter de la validité du procédé.

Si la possibilité d'enchérir par voie électronique n'est pas douteuse, dès l'instant que le législateur a envisagé la possibilité d'enchères sur Internet (cf. loi du 10 juillet 2000 et art. L. 321-3 C. Com.), il est permis de s'interroger sur la possibilité de " surenchérir " à la baisse. Cependant, il est admis que si les enchères supposent une variation de prix, celle-ci peut être croissante ou décroissante.

Un autre obstacle semble tenir à l'art. L. 320-1 du code de commerce en vertu duquel " nul ne peut faire des enchères publiques un procédé habituel de son commerce ". De prime abord, cette disposition semble interdire de recourir, de façon habituelle, aux enchères électroniques inversées et n'admettre celles-ci que de façon occasionnelle (par exemple, pour une opération promotionnelle).

Toutefois, il faut distinguer, à la suite de l'art. L. 321-3 du code de commerce, deux types d'enchères par voie électronique :

- les opérations de courtage aux enchères qui se caractérisent par l'absence d'adjudication et d'intervention d'un tiers dans la conclusion de la vente. Dès lors qu'aux termes de l'art. L. 321-3 du code de commerce, cette catégorie ne constitue pas une vente aux enchères publiques, elle est soustraite à l'interdiction posée par l'art. L. 320-1 du code de commerce qui concerne uniquement les enchères publiques ;

- les ventes aux enchères publiques, qui se réalisent par l'intermédiaire d'un mandataire, donnent lieu à une adjudication au mieux-disant et font l'objet d'une stricte réglementation. Cependant, les ventes aux enchères donnant lieu à adjudication échappent à l'interdiction si elles ne sont pas publiques mais privées. Selon la jurisprudence dominante, le caractère public de la vente tient à ce que celle-ci est ouverte au public tandis que l'opération réservée exclusivement à certaines personnes ou catégories de personnes constitue une vente privée.

Certes, ni la perception d'un droit d'entrée, ni la nécessité d'accepter des conditions générales d'utilisation ne retirent aux enchères leur caractère public (v. respectivement, TGI Douai 29 avril 1988, et TGI Paris 3 mai 2000, D. 2000, p. 640, note L. Mauger-Vielpeau). Il semble toutefois que les pratiques d'enchères électroniques inversées sont assorties de restrictions plus sérieuses à leur accès, de sorte qu'il est permis de penser que lorsqu'elles constituent des ventes aux enchères, elles ont néanmoins un caractère privé qui leur permet d'échapper à la prohibition de l'art. L. 320-1 du code de commerce.

Un raisonnement similaire permet de lever l'obstacle que paraît constituer l'art. L. 321-1 du code de commerce et d'admettre la licéité des ventes aux enchères de marchandises en gros

b) Le droit commun des contrats

Sur le terrain du droit commun des contrats, la licéité ne semble guère douteuse.

En effet, la circonstance que l'initiateur de l'enchère maîtrise les différents paramètres est inopérante. La disparité des rapports de forces est en elle-même sans incidence sur la validité du contrat qui n'est pas remise en cause du seul fait qu'il serait l'œuvre exclusive d'une partie.

La brutalité du procédé parfois mise en avant pourrait conduire à envisager l'application des vices du consentement. Cependant, il a déjà été jugé, à propos d'enchères de type " classique " il est vrai, que le feu des enchères ou encore les encouragements de l'intermédiaire à porter une enchère ne constituent pas un dol au sens de l'art. 1116 du Code. civil. Il est également fort improbable que le vice de violence, envisagé aux art. 1111 et s. du Code civil., puisse être invoqué avec succès à l'encontre de n'importe quelle enchère électronique inversée.

2) Licéité au regard du droit de la concurrence

Au regard du droit des pratiques anticoncurrentielles, il faut signaler l'obstacle tenant à l'exigence d'une atteinte suffisamment sensible à la concurrence sur le marché pertinent. Le recours aux pratiques d'enchères électroniques inversées étant, pour le moment encore, marginal à l'échelle du marché des biens ou des services échangés, leur impact sur ce marché est vraisemblablement trop limité pour que le seuil de sensibilité soit franchi.

A première vue, le procédé des enchères électroniques inversées, qui vise à mettre en compétition plusieurs offreurs et à confronter leurs tarifs n'est pas contraire au droit de la concurrence.

Que le processus repose sur la connaissance de l'offre de ses concurrents n'est pas en soi critiquable dès l'instant où cette connaissance des offres concurrentes (sur laquelle s'appuie le mécanisme même de l'enchère) n'est pas un facteur de collusion mais, bien au contraire, de concurrence. Le procédé n'est assurément pas en soi contraire à la prohibition des ententes (art. L. 420-1 C. com.). Sans doute existe-t-il un risque d'entente dans le cas où le nombre d'offreurs est faible, mais cela ne conduit pas à remettre en cause la licéité même du procédé. Pourraient contrevenir à la prohibition des ententes les enchères inversées collaboratives par lesquelles plusieurs demandeurs, adhérents d'une place de marché, procèdent à une fixation concertée des conditions de leurs demandes.

Le fait qu'il contribue à l'accroissement du déséquilibre du rapport de forces et au renforcement de la puissance d'un agent économique n'est pas en soi critiquable, seuls les abus d'une telle puissance étant prohibés.

On pourrait également s'interroger en raison de l'effet d'éviction produit sur les " petits " opérateurs qui n'auraient pas les moyens techniques et financiers de répondre à des enchères électroniques inversées. A supposer que cette " barrière à l'accès " aux enchères électroniques inversées soit substantielle, cela ne devrait cependant pas conduire à proscrire la pratique qui n'est pas généralisée, de sorte que d'autres possibilités d'exercer son activité demeurent.

Le fait que le mécanisme exerce une pression très vive sur le prix, qui est précisément l'un des paramètres sur lesquels s'opère la concurrence, n'est pas en soi illicite.

En revanche, l'appréciation portée doit être reconsidérée dans le cas où le niveau de prix atteint est extrêmement bas ; ce n'est pas alors le principe même de l'enchère qui est en cause, mais les conséquences de celle-ci (cf. II).

Contrairement à la négociation classique, le procédé de l'enchère électronique inversée prive de toute possibilité de négocier une contrepartie à la baisse des prix concédée (par exemple, elle se prête difficilement à un raisonnement sur une gamme de produits, le prix attractif consenti sur l'un ayant pour corollaire des conditions plus attractives sur un autre).

A cela, il est possible d'opposer que le processus n'est pas nécessairement dématérialisé dans son ensemble et qu'existent peut-être d'autres phases de négociation. Pour autant, il s'agit peut-être de l'aspect le plus contestable de cette pratique, à la condition toutefois qu'un texte permette de s'en saisir.

Outre l'incidence de la pratique (art. L. 420-2 C. com.), la mise en œuvre de l'interdiction des abus de position dominante et de dépendance économique supposent de caractériser, selon le cas, la position dominante du demandeur sur le marché (ce qui est peu probable) ou l'état de dépendance économique de l'offreur à son égard. Là encore, malgré une légère inflexion de la pratique décisionnelle (v. Com. 3 mars 2004, Bull. civ. IV, n° 44 ; Cons. Conc. 04-D-44 du 15 sept. 2004, Secteur de la distribution et de l'exploitation de films et 04-D-26 du 30 juin 2004, Pratiques mises en œuvre par le groupement d'intérêt public Champagne Ardenne), il risque d'être difficile d'établir la situation de dépendance économique.

Au regard du droit des pratiques restrictives, deux dispositions peuvent être envisagées :

- la prohibition des pratiques discriminatoires (art. L. 442-6-I 1° C. com.) qui vise la pratique ou l'obtention d'un traitement discriminatoire, notamment du point de vue tarifaire, non justifié par des contreparties réelles, créant de ce fait, pour ce partenaire un désavantage ou un avantage dans la concurrence.

Dans le cas où la preuve de contreparties réelles n'est pas établie, l'exigence tenant à l'incidence sur la situation de l'opérateur ne pose guère de difficultés. En effet, la jurisprudence considère qu'elle découle automatiquement des deux autres conditions (discrimination et absence de justification) (en ce sens, v. Com. 5 déc. 2000, Min. éco c/ ITM international, RJDA 4/2001, n° 511, p. 458 : " le fait pour un distributeur d'obtenir d'un partenaire économique des avantages financiers non justifiés par une contrepartie réelle crée pour ce partenaire un désavantage dans la concurrence, sans qu'il y ait lieu pour l'administration ou pour l'opérateur ayant subi ce désavantage d'en établir la valeur "). Reste que la démonstration d'une contrepartie réelle n'est pas exclue (par exemple, des gains liés à la dématérialisation de la négociation), de sorte qu'il n'est pas évident que la prohibition des pratiques discriminatoires fonde une interdiction du processus même d'enchères électroniques inversées ;

- la prohibition de l'abus de la relation de dépendance ou de la puissance d'achat (art. L. 442-6-I 2 b C. Com.).

Outre la caractérisation d'une relation de dépendance de l'offreur à l'égard de son client ou de la puissance d'achat de ce dernier, ce texte requiert la démonstration d'un abus consistant à soumettre le partenaire à des conditions commerciales ou obligations injustifiées. Cette disposition ne paraît cependant pas susceptible d'interdire le procédé même de l'enchère électronique inversée. D'une part, elle ne fait aucunement référence au moyen employé, mais seulement au résultat. D'autre part, à supposer que le procédé de l'enchère puisse être considéré comme une condition commerciale au sens de ce texte, c'est l'impossibilité de fournir une justification satisfaisante qui semble être l'élément constitutif de l'abus. Or, il semble possible pour un demandeur d'avancer des justifications à l'utilisation de cette pratique (cf. les avantages prêtés à celle-ci).

3) Cantonnement du procédé à certains produits ou opérations

Il est parfois souligné que la pratique n'est pas utilisable pour n'importe quel bien ou service et que son emploi devrait être limité à certains d'entre eux (produits homogènes et peu spécifiques), voire à certaines finalités (auto-consommation et non pas achat pour revendre).

S'il est vrai que le procédé est plus adapté à certains produits qu'à d'autres (tels que les articles de catalogue dont le coût unitaire de production est prédéterminé et connu de l'offreur) et au-delà des éventuelles réserves d'ordre éthique que peut susciter la mise aux enchères de services, il n'existe pas en l'état du droit positif d'instrument juridique fondant une telle différenciation.

La licéité du mécanisme des enchères électroniques inversées n'exclut pas pour autant tout risque de dérives dont il convient de prendre la mesure.

B - Les dérives possibles des pratiques d'enchères electroniques inversées

La recherche des dérives possibles dans la mise en œuvre des pratiques d'enchères électroniques inversées conduit à envisager successivement la période en amont de l'enchère (1) et celle du déroulement de l'enchère elle-même (2), étant précisé que les comportements litigieux peuvent être le fait des demandeurs et des offreurs.

1) Les dérives possibles en amont de l'enchère

En amont de l'enchère, il faut s'interroger sur la possibilité de sélectionner les participants à l'enchère, sur l'exigence d'une participation financière des enchérisseurs et enfin sur l'information devant être portée à la connaissance des candidats à l'enchère.

a) La sélection des participants à l'enchère

La participation à l'enchère peut être libre ou filtrée.

L'absence de sélection, qui permet à tout fournisseur de s'inscrire avant l'ouverture de la procédure, semble de prime abord favorable à la concurrence. Cela étant, elle peut être à l'origine de dérives lors du déroulement des enchères (cf. 2).

Précisément, l'existence d'une sélection peut apparaître opportune en ce qu'elle évite la participation d'offreurs dont l'aptitude à répondre (en qualité et en disponibilité) à la demande exprimée est douteuse. S'assurer de la fiabilité des fournisseurs est non seulement légitime mais encore opportun (cf. 2). Le refus de contracter avec n'importe quel offreur est la manifestation de la liberté contractuelle du demandeur de biens ou de services dont le libre choix contribue à la vitalité de la concurrence.

Il pourrait néanmoins être appréhendé par la prohibition des pratiques discriminatoires prévue à l'art. L. 442-6-I 1° C. com. si les conditions de ce texte étaient satisfaites (rappr. Versailles, 26 avril 2001, RJDA 8-9/2001, n° 916), du moins en ce qui concerne le partenaire avec lequel le demandeur est, au moment où il recourt à la procédure d'enchères inversées, en relation commerciale. Il faut cependant excepter le cas dans lequel celui-ci aurait commis des manquements contractuels graves et ne donnerait plus satisfaction au regard de la qualité ou, éventuellement, celui dans lequel le demandeur souhaiterait diversifier ses partenaires.

Bien que la procédure d'enchère inversée soit précisément destinée à obtenir un abaissement des prix, il ne semble pas nécessaire que la sélection s'opère exclusivement sur des critères d'ordre qualitatif. Le prix proposé à ce stade par les différents offreurs demeure un critère de sélection admissible en ce qu'il est objectif et peut être appliqué de manière non discriminatoire. La seule réserve tient au niveau de prix atteint à l'issue de l'enchère (cf. II).

b) L'exigence d'une participation financière des enchérisseurs

S'il est vrai que l'organisation des enchères initiées par le demandeur a un coût, l'assujettissement de la participation aux enchères au paiement d'une contribution financière est susceptible de contrevenir à plusieurs dispositions :

-l'art. L. 442-6-I 3 ° du code de commerce vise le fait " d'obtenir ou tenter d'obtenir un avantage, condition préalable à la passation de commandes, sans l'assortir d'un engagement écrit sur un volume d'achat proportionné et, le cas échéant, d'un service demandé par le fournisseur et ayant fait l'objet d'un contrat écrit ". Ce texte paraît exclure que soit réclamé le versement d'une participation financière à tout enchérisseur indépendamment du résultat de l'enchère et de la conclusion d'un contrat avec celui-ci. L'art. L. 442-6-II b C. com. prévoit d'ailleurs spécialement la nullité des clauses ou contrats instituant la possibilité " d'obtenir le paiement d'un droit d'accès au référencement préalablement à la passation de toute commande " ;

-l'art. L. 442-6- I 2 a du code de commerce envisage le fait " d'obtenir ou tenter d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu ". Cette disposition peut s'appliquer dans le cas où le montant réclamé est hors de proportion avec la possibilité d'accéder à une enchère inversée ;

-l'art. L. 442-6-I 2° b du code de commerce concernant l'abus de la relation de dépendance ou de la puissance d'achat peut également permettre d'appréhender l'exigence d'une participation sans rapport avec le service rendu.

c) L'information à délivrer aux candidats à l'enchère

Au regard des principes du droit commun des contrats, le consentement doit être donné en connaissance de cause, de manière libre et éclairée, ce qui implique que certaines informations soient loyalement portées à la connaissance des candidats à l'enchère, de façon claire et précise et suffisamment tôt pour leur permettre de les apprécier (A partir du moment où la procédure d'enchères se déroule de façon très rapide, il faut qu'en amont, les candidats aient disposé d'un laps de temps suffisant pour analyser l'appel d'offres qui leur est adressé).

Les informations délivrées doivent permettre à tous les candidats à l'enchère de participer à celle-ci, en connaissance de cause, aussi bien en ce qui concerne le mécanisme des enchères électroniques inversées qu'en ce qui concerne l'évaluation tarifaire à laquelle ils doivent procéder avant le déroulement de l'enchère.

S'agissant, tout d'abord, du mécanisme des enchères électroniques inversées, l'initiateur doit expliquer celui-ci d'un point de vue technique, afin que le participant à l'enchère soit familiarisé avec la procédure avant l'enchère réelle, mais également d'un point de vue juridique. A cet égard, toute ambiguïté doit être levée sur la finalité de l'enchère, qu'il s'agisse de conclure un contrat d'approvisionnement avec le meilleur enchérisseur, de sélectionner des fournisseurs, de disposer d'un élément de choix supplémentaire dans les négociations avec les fournisseurs, d'effectuer un test destiné à rassembler des données en vue d'une future négociation.

Il faut également que soient précisées les modalités de l'enchère, et notamment les conditions de participation, la durée prévue ainsi que les facultés de prorogation éventuelle, le mode d'évaluation des offres (il peut s'agir du meilleur prix, mais aussi de la meilleure proposition à partir de différents critères d'appréciation), le prix de départ, le seuil de baisse.

S'il n'est pas interdit d'indiquer qui participe aux enchères, taire cette information peut être judicieux et réduire les risques de collusions entre offreurs.

Il faut permettre ensuite aux différents participants de procéder à une évaluation tarifaire correcte avant de prendre part aux enchères.

A cette fin, ils doivent disposer, de manière uniforme, de l'ensemble des éléments contribuant à la formation du prix et donc des différentes caractéristiques de la demande (notamment les spécifications techniques, les quantités, les conditions de paiement, les conditions de livraison, …)

Dans le cas où des éléments importants auraient été omis, délibérément ou non, une action fondée sur le dol ou sur l'erreur pourrait éventuellement être envisagée.

2) Le déroulement de l'enchère

a) l'enchère faussée

Il importe essentiellement que l'enchère ne soit pas faussée du fait de pratiques discutables qui peuvent émaner d'offreurs ou de demandeurs.

Il peut arriver que l'initiateur interfère dans le déroulement des enchères en prenant directement contact, par téléphone essentiellement, avec tel ou tel enchérisseur. Il n'est cependant pas certain que ces pressions suffisent à constituer le vice de violence envisagé aux art. 1111 et s. du Code civil.

Une question du même ordre pourrait se poser dans le cas où la durée de l'enchère serait particulièrement brève ou surtout exceptionnellement longue. Le prolongement de la séance, dans le cas où cela n'aurait pas été prévu, pourrait également influer sur le déroulement de l'enchère, certains enchérisseurs n'étant éventuellement plus en mesure d'y participer.

Il existe également un risque de baisse artificielle des prix, soit que l'initiateur participe lui- même, sous couvert de l'anonymat, à l'enchère, soit qu'il y introduise des " lièvres ". Il peut ainsi " instrumentaliser " un fournisseur auquel il accorde une " compensation " par ailleurs.

Il est également permis de se demander si la mise en concurrence de fournisseurs à compétence ou qualifications inégales pourrait fausser le jeu des enchères.

S'il est vrai que le fait que tous les participants soient connus de toutes les parties concernées éviterait, pour une large part, les risques de manipulation des cours par l'initiateur de l'enchère, cela risquerait en revanche de favoriser la collusion entre les enchérisseurs.

Les participants à l'enchère doivent, au regard de la loyauté des pourparlers, être en mesure d'honorer l'appel d'offres et avoir l'intention de conclure un contrat avec le demandeur.

Il peut cependant arriver qu'une entreprise fasse baisser les enchères, le cas échéant en concertation avec l'initiateur de l'appel d'offres, afin d'obliger un concurrent à accepter un contrat qui fera perdre de l'argent à ce dernier.

Il est également possible que les participants nouent une entente entre eux, soit afin de faire échouer le processus des enchères électroniques inversées (le mécanisme se soldant par un refus de contracter de l'enchérisseur), soit plus fréquemment afin d'éviter la baisse des prix. Cette pratique s'apparente à celle dite des offres de couverture qui est appréhendée sur le terrain de l'interdiction des ententes.

Plusieurs des pratiques ci-dessus évoquées pourraient être saisies via la prohibition des ententes, l'art. L. 420-1 - 2° du code de commerce prohibant les ententes qui ont un objet ou peuvent avoir un effet restrictif de concurrence sur le marché, notamment " lorsqu'elles tendent à faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu de la concurrence en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ".

Il est également possible d'envisager l'application de l'art. L. 443-2 du code de commerce, disposition qui punit de sanctions pénales (deux ans d'emprisonnement et 30000 euros d'amende) " le fait, en diffusant, par quelque moyen que ce soit, des informations mensongères ou calomnieuses, en jetant sur le marché des offres destinées à troubler les cours ou des sur offres faites aux prix demandés par les vendeurs, ou en utilisant tout autre moyen frauduleux, d'opérer ou de tenter d'opérer la hausse ou la baisse artificielle du prix de biens ou de services ou d'effets publics ou privés "..

De telles pratiques pourraient encore être sanctionnées sur le fondement du droit commun des obligations. Il est permis de penser tout particulièrement au dol.

b) la mise en œuvre de l'enchère

La mise en œuvre de l'enchère conduit à s'interroger à deux égards :

Tout d'abord, en ce qui concerne le prix d'entrée, retenu pour le début de l'enchère, celui-ci est arrêté librement par l'initiateur de l'enchère. Il n'est pas interdit en soi de retenir un prix de départ inférieur aux prix obtenus antérieurement de ses fournisseurs habituels. Il faut cependant réserver l'hypothèse dans laquelle ce prix conduirait immanquablement les enchérisseurs à pratiquer des prix trop bas (cf. II). Il ne semble pas exclu de recourir à des enchères sans mise à prix.

Ensuite, certaines variétés d'enchères électroniques inversées peuvent soulever une difficulté au regard du mécanisme des enchères. Dans le cas des enchères " à l'aveugle ", les participants enchérissent sans rien savoir des éventuelles offres concurrentes. Dans le cas des enchères " au ranking ", ils ignorent le niveau de proposition des concurrents, et n'ont comme information que le rang auquel leur dernière offre les classe.

Or, pour qu'il y ait enchère, il faut que chacun puisse avoir connaissance de l'offre précédente, afin de faire éventuellement une meilleure offre .

II - Les conséquences des pratiques d'enchères électroniques inversées

Parmi les différentes conséquences à envisager, le prix consécutif aux pratiques d'enchères inversées retient particulièrement l'attention (A). Il faut également s'intéresser aux autres suites qui concernent les participants et éventuellement des tiers (B).

A - Le prix consécutif aux pratiques d'enchères électroniques inversées

Outre l'appréciation de la rectitude du prix consécutif aux enchères inversées (1), il faut préciser son incidence sur l'obligation de communication qui pèse sur les offreurs (2) et admettre la possibilité d'une révision éventuelle du prix proposé (3).

1) La rectitude du prix

Sur le terrain du droit des contrats, il faudrait envisager la possibilité d'arguer de la violence économique. Si celle-ci n'est pas formellement exclue, son admission suppose que soit démontrée " l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts de la personne " (Civ. 1ère 3 avril 2002, Bull. civ. I, n° 108).

Il est également possible de s'interroger sur la possibilité de prévoir une faculté de retrait de l'offre émise dans le cas où le prix est inférieur à un certain seuil (par exemple, s'il conduit l'offreur à réaliser des pertes).

En ce qui concerne le droit de la concurrence, les prohibitions spécialement destinées à appréhender les prix bas ne peuvent être efficacement sollicitées. En effet, l'interdiction des prix abusivement bas prévue par l'art. L. 420-5 du code de commerce s'applique uniquement aux opérations à destination des consommateurs stricto sensu. La prohibition de la revente à perte ne concerne que les produits revendus en l'état (art. L. 442-2 C. com.).

Il est en revanche possible d'envisager, sous les réserves déjà évoquées et liées aux conditions d'application, les interdictions des ententes, des abus de position dominante et des abus de dépendance économique (art. L. 420-1 et 420-2 al. 1 et 2 C. com.).

En vue de déterminer un seuil de l'abus dans la fixation de prix trop bas, on peut transposer le raisonnement tenu pour les prix trop élevés et considérer qu'il s'agit de prix sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie et qui présentent une disproportion excessive avec le coût supporté.

Plusieurs dispositions appréhendant des pratiques restrictives sont susceptibles de s'appliquer.

C'est le cas de l'art. L. 442-6-I 4° du code de commerce qui vise le fait " d'obtenir ou de tenter d'obtenir, sous la menace d'une rupture brutale, totale ou partielle, des relations commerciales, des prix (…) manifestement dérogatoires aux conditions générales de vente ". En présence de prix très bas, il ne serait pas difficile d'établir l'existence d'une dérogation manifeste aux conditions de vente, laquelle ne peut être justifiée, au vu de la lettre du texte. Cependant, le texte concerne uniquement l'hypothèse dans laquelle une relation contractuelle préexistait et suppose la démonstration fort délicate de la menace de rupture.

Il faut aussi mentionner l'art. L. 442-6-I-2 b C. com. déjà évoqué qui prohibe l'abus de la dépendance ou de la puissance d'achat.

La rectitude du prix doit encore être examinée au regard de la prohibition des pratiques discriminatoires (art. L. 442-6-I 1° C. com.). L'enchère peut effectivement conduire à un prix s'écartant sans contrepartie réelle des tarifs prévus par les conditions générales de vente et appliqués à l'occasion de transactions similaires à celle ayant donné lieu à l'enchère inversée. De même, existe le risque que d'autres demandeurs, placés dans la même situation, réclament ensuite les mêmes conditions tarifaires.

2) L' incidence du prix sur l'obligation de communication

L'art. L. 441-6 al. 1er du code de commerce prévoit que " tout producteur, prestataire de services, grossiste ou importateur est tenu de communiquer à tout acheteur de produit ou demandeur de prestation de services pour une activité professionnelle qui en fait la demande son barème de prix et ses conditions de vente. Celles-ci comprennent les conditions de règlement et, le cas échéant, les rabais et ristournes ".

Il paraît résulter de ce texte que l'offreur de biens ou de services, saisi d'une demande en ce sens, doit communiquer aux concurrents de son cocontractant le tarif pratiqué au bénéfice de ce dernier à la suite de l'enchère inversée. Au vu de la jurisprudence (rappr. Com. 27 fév. 1990, Bull. IV, n° 59 ; Com. 24 oct. 2000, CCC 2001, n° 8, obs. M. Malaurie-Vignal), c'est semble-t-il en vain qu'il ferait valoir, pour en refuser la communication, le fait qu'il s'agit de conditions spéciales consenties à l'occasion d'une procédure spécifique. Refuser cette communication au motif qu'elle concerne une enchère inversée reviendrait à ajouter une condition non prévue par le texte. Le fait que le tarif a été consenti à titre occasionnel ne permet pas non plus d'échapper à l'obligation de communication.

3) La révision éventuelle du prix

Dans la mesure où les prix proposés par les enchérisseurs l'ont été sur la foi de la description de ses besoins qu'a effectuée l'initiateur de l'enchère, tout changement postérieur à l'enchère devrait, sauf à être négligeable, autoriser à proposer un nouveau prix, tenant compte des prestations additionnelles.

Les offres remises ne sauraient faire l'objet d'un panachage, à moins que cette possibilité ait été envisagée et portée à la connaissance des enchérisseurs avant l'enchère.

B - Les autres suites des pratiques d'enchères électroniques inversées

Envisager les suites des pratiques d'enchères électroniques inversées conduit à préciser la situation des enchérisseurs (1) et l'incidence des enchères sur les relations commerciales antérieures (2).

1) La situation des enchérisseurs

La situation des enchérisseurs dépend du point de savoir si l'initiateur de l'enchère a lancé une simple invitation à entrer en pourparlers ou une véritable pollicitation, si bien qu'une analyse du processus de formation du contrat doit précéder l'examen des droits et des obligations des enchérisseurs.

a) Analyse du processus de formation du contrat

Il s'agit de déterminer qui, de l'initiateur de l'enchère ou des enchérisseurs, est l'auteur de la pollicitation et qui est l'acceptant.

Même s'il prend l'initiative, le demandeur de biens ou de services n'est pas nécessairement le pollicitant. Une proposition de contracter ne constitue une pollicitation qu'à la condition d'être précise et ferme.

La précision suppose que les éléments essentiels du contrat soient contenus dans la proposition, de sorte qu'en présence d'un contrat tel que la vente pour lequel le prix est un élément essentiel, l'appel à participer à une enchère constitue seulement une invitation à entrer en pourparlers. Il en va autrement des contrats pour lesquels la proposition du donneur d'ordres peut être suffisamment précise en l'absence d'indication de prix, comme c'est le cas pour le contrat d'entreprise.

Cela étant, même si la proposition est précise, elle peut manquer de la fermeté nécessaire. Il est possible, et pour tout dire fréquent, d'assortir une proposition de réserves d'agrément, exprimant la volonté de son auteur de ne pas être lié en cas d'acceptation. Cette proposition ne constitue alors qu'une invitation à entrer en pourparlers. La pollicitation, qui est alors émise par l'enchérisseur lorsqu'il propose un prix, peut être acceptée purement et simplement par l'initiateur de l'enchère et donner lieu à la conclusion du contrat.

Finalement, la détermination des qualités de pollicitant et d'acceptant dépend de la nature du contrat et de l'existence éventuelle de réserves. Dans la majorité des cas, la pollicitation est émise par l'enchérisseur et l'acceptation émane de l'initiateur de l'enchère.

b) Les devoirs des enchérisseurs

Il s'agit ici de savoir si toutes les propositions de prix formulées à l'occasion des enchères engagent leurs auteurs comme des pollicitations ou si seule demeure la dernière et meilleure enchère.

Il est possible de prévoir que toutes les propositions de prix ne sont pas couvertes par les enchères ultérieures et restent valables pendant un certain laps de temps après la clôture des enchères. Dans le cas où aucune durée n'est prévue, il faut considérer que les pollicitations doivent être maintenues pendant un délai raisonnable.

Lorsque la pollicitation est acceptée par l'initiateur de l'enchère, le contrat est formé et engage aussi bien le fournisseur retenu que le demandeur de biens ou de services.

Dans le cas où celui-ci ne serait pas en mesure d'honorer son engagement, se pose la question de savoir si un autre enchérisseur pourrait être tenu de conclure le contrat. Il semble que la réponse soit négative car, du fait de l'acceptation de la pollicitation du premier enchérisseur choisi, les autres enchérisseurs pourraient se considérer libérés de leur propre pollicitation.

c) Les droits des enchérisseurs

Les informations, dévoilées pour les enchères par les participants, ne doivent pas être utilisées à d'autres fins, ni communiquées à des tiers.

Cela étant, la question essentielle concerne le point de savoir si l'enchérisseur peut obtenir la conclusion d'un contrat et de quel contrat.

La loi a opéré une désolidarisation des enchères et de l'adjudication et il peut exister des enchères sans adjudication. Tandis que dans l'enchère classique, l'adjudication s'opère au bénéfice du dernier et meilleur enchérisseur, le courtage électronique a permis de séparer le mécanisme des enchères de son aboutissement traditionnel. Le procédé des enchères ne constitue plus alors un mode de détermination automatique du prix et du contractant ; il peut être un mode de collecte de plusieurs pollicitations.

Si le cahier des charges constitue, de la part de l'initiateur de l'enchère, une pollicitation, on peut considérer qu' à la fin de la procédure d'enchères, un contrat sera conclu avec le meilleur enchérisseur, l'offre et l'acceptation s'étant rencontrées. Reste cependant à savoir quelle est la nature de ce contrat ; il ne s'agit pas nécessairement semble-t-il d'un contrat de vente ou d'entreprise, il peut s'agir d'un contrat de référencement par exemple.

Dans le cas où l'initiateur de l'enchère a simplement lancé une invitation à entrer en pourparlers, laquelle a suscité l'émission de plusieurs pollicitations, il n'est pas tenu d'accepter celle du meilleur enchérisseur ; il peut prendre en compte d'autres critères que le prix et choisir un autre contractant.

Cela étant, le fait d'avoir initié une opération d'enchères, autrement dit d'avoir engagé des pourparlers n'est pas dépourvu de toute conséquence au regard du droit commun des obligations.

Tout d'abord, l'initiateur est tenu par les règles du jeu qu'il a lui-même fixées, le cas échéant. On peut imaginer, par exemple, qu'il se soit engagé à motiver le rejet de la meilleure enchère.

Ensuite, en dehors du cas où des dispositions ont été prévues par les parties, s'il a effectivement le droit de ne pas contracter sans avoir à motiver sa décision, encore faut-il qu'il ne commette pas d'abus dans l'exercice de cette prérogative. La rupture des pourparlers peut être fautive et causer à l'enchérisseur évincé un préjudice qui doit être réparé. Peut-être cela pourrait-il être le cas si l'initiateur de l'enchère, estimant que son résultat n'est pas satisfaisant, le niveau de prix n'étant pas assez bas selon lui, ne donne aucune suite à la procédure qu'il a lancée. De même, cela pourrait conduire à renoncer à conclure avec un offreur qui n'a pas participé aux négociations.

2) L'incidence sur les relations commerciales antérieures

Etre déjà en relation contractuelle avec un partenaire n'interdit pas de recourir à la pratique des enchères électroniques inversées et, le cas échéant, de choisir un nouveau fournisseur, sous réserve de respecter les droits nés du contrat (respect de l'échéance dans le cas d'un contrat à durée déterminée et respect du préavis éventuellement convenu dans le cas du contrat à durée indéterminée) ainsi que les dispositions de l'art. L. 442-6-I 5° du code de commerce. Ce texte, qui prohibe la rupture brutale d'une relation commerciale établie, n'empêche pas d'utiliser le mécanisme des enchères inversées, mais requiert le respect d'un préavis suffisant au sens de ce texte. La question se pose de savoir quel est le point de départ du préavis. En l'état de la jurisprudence, le préavis court du jour où le contractant informe son partenaire de sa volonté de ne pas poursuivre la relation par la notification de son intention de recourir à un appel d'offres et non à compter de la date de la notification de l'échec à cet appel d'offres (Com. 6 juin 2001, CCC 2001, n° 160, obs. M. Malaurie-Vignal). On pourrait cependant objecter que la mise en concurrence du partenaire n'est pas synonyme de fin des relations, laquelle n'est certaine qu'à l'issue de la négociation.

Il faut cependant signaler qu'un comportement grave du partenaire pourrait justifier la rupture immédiate du contrat, en dépit des termes du contrat et de l'art. L 442-6-I 5°, aux risques et périls de l'auteur de la rupture toutefois (Civ. 1ère 13 oct. 1998, Bull. civ. I, n° 300).

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Le mécanisme des enchères électroniques inversées paraît licite en l'état du droit positif, de sorte qu'il peut se substituer (cas des enchères avec adjudication) ou se superposer à des formes de négociations plus traditionnelles (cas des enchères sans adjudication et désignées sous l'appellation de courtage aux enchères). Tout risque de dérives n'est pas exclu pour autant.

Cela est vrai en amont de l'enchère, à l'occasion de la sélection des participants, de l'exigence éventuelle d'une participation financière ou encore de la délivrance des informations aux candidats à l'enchère, tant sur le mécanisme des enchères électroniques inversées que sur les paramètres nécessaires à l'évaluation tarifaire préalable à la participation aux enchères.

Cela concerne également le déroulement de l'enchère, celle-ci pouvant se trouver faussée par des pratiques émanant de l'initiateur et/ou des participants.

Quant aux conséquences produites par les pratiques d'enchères inversées, le prix mérite une attention particulière : outre la vérification de sa rectitude, il importe d'envisager son incidence sur une demande éventuelle de communication et d'admettre la possibilité de sa révision éventuelle.

Il faut également déterminer quelle est la situation des enchérisseurs, et notamment savoir si l'enchère se dénoue ou non par la conclusion d'un contrat et, dans l'affirmative, de quel type de contrat il s'agit et de quelle liberté dispose l'initiateur de l'enchère dans le choix du cocontractant. S'il est possible, en l'état du droit positif, que la procédure d'enchères inversées soit seulement un mode de collecte de plusieurs pollicitations concurrentes, une rupture fautive des pourparlers ou encore le non-respect des règles énoncées par l'initiateur lui-même en amont de l'enchère, peut être sanctionnée.

Enfin, si l'existence d'une relation commerciale établie n'exclut pas la mise en concurrence du partenaire, par l'organisation d'enchères électroniques inversées, il convient de respecter un délai de préavis suffisant.

Tels sont de façon schématique les différents enseignements qui se dégagent d'une appréciation de la conformité au droit positif français des pratiques d'enchères électroniques inversées.

Rappeler les règles applicables ne saurait garantir leur respect, de sorte qu'il importe également d'en faciliter le contrôle.

Délibéré et adopté par la Commission d'examen des pratiques commerciales en ses séances plénières des 17 novembre et 15 décembre 2004, présidées par M. Jean-Pierre Dumas.

Fait à Paris , le 15 décembre 2004

Le Président de la Commission
d'examen des pratiques commerciales

Jean-Pierre DUMAS