Produits dérivés : le témoignage de la Ville de Paris

La Mairie de Paris est la première collectivité en France à s’engager dans la démarche d’une stratégie de produits dérivés sous licence. Avec plus de 600 boutiques qui commercialisent aujourd’hui ses produits et des redevances en augmentation de 95 % en 2015, la Mairie de Paris poursuit son développement. Grâce à une construction stratégique très étudiée de ses marques, la Mairie de Paris, après les particuliers, s’adresse dorénavant aussi aux entreprises. Entretien avec Gildas Robert, responsable du département Marketing et Communication des Marques de la Mairie de Paris.

APIE : Comment est née l’idée de la démarche de produits dérivés sous licence pour la Mairie de Paris ?

Gildas Robert : Nous nous sommes d’abord beaucoup interrogés. La démarche de licensing est née de multiples attentes. Le service Vélib’, fut le déclencheur de cette réflexion. Comment s’adresser à la cible de potentiels abonnés au service Vélib’ ? Comment mieux informer les utilisateurs eux-mêmes ? Comment renforcer l’expérience des utilisateurs ? Comment rayonner au-delà des frontières de notre seul territoire, Paris ? Comment protéger et créer de l’attachement autour de la marque ? Comment globalement rendre un meilleur service ?...

Pour informer de façon moins institutionnelle, pour diffuser l’information dans les habitudes de la vie quotidienne des abonnés et de potentiels abonnés, pour donner plus encore de visibilité à la marque, l’idée de s’associer à un éditeur distribuant toutes les librairies s’est vite imposée.

La Mairie de Paris possédait la marque, l’information au travers de son blog « Vélib’ le mag », l’expertise de ses agents municipaux. Nous entendions donc bien nous voir rémunérer pour cet apport. Puis, nous ne voulions pas reproduire les anciens modèles économiques où la collectivité se voit, à chaque fois, contrainte de couvrir financièrement les risques éditeurs en échange de quelques exemplaires, sans avoir la garantie d’une bonne collaboration et d’une bonne distribution. Nous voulions aussi démontrer que la communication n’est pas qu’un centre de coûts mais aussi de recettes. L’idée du choix de la licence était née. Après un DESS de communication politique à la Sorbonne, je suis moi-même retourné sur les bancs de l’université pour un master 2 afin de réfléchir et d’approfondir la commercialisation de produits dérivés sous licence dans les collectivités. J’avais bien conscience d’avoir une obligation de résultats en initiant ce modèle économique, pour la première fois, dans une collectivité et surtout à Paris.

Quels sont les objectifs poursuivis par la Ville de Paris ?

La Mairie de Paris est une entité publique qui se doit de servir des missions de service public. Nous voulions créer et exploiter les marques de notre collectivité dans l’objectif de :

  • protéger et promouvoir le patrimoine immatériel des Parisiens, en assurant la publicité des marques et en luttant contre la contrefaçon ;
  • promouvoir les services municipaux ;
  • dynamiser, exporter une image valorisante de Paris et contribuer à l’activité économique touristique
  • commercialiser des produits dérivés de marques connues et reconnues portant l’histoire de Paris;
  • promouvoir des savoir-faire (jeunes artistes, jeunes entreprises parisiennes...)
  • générer des revenus additionnels pour la Ville.

Avez-vous étudié, en amont, des démarches analogues en France ou à l’étranger ?

En l’absence d’exemple de collectivités françaises, nous avons longuement étudié, en 2013, les exemples étrangers comme les villes de New-York, Londres, Dublin ou Amsterdam. Mais aussi l’US Army dont les produits dérivés sous licence représentent, encore aujourd’hui, en 2015, 92,5 millions d’euros de ventes, le Victoria and Albert Muséum et ses 92 millions de ventes de produits sous licence ou encore la défense italienne et ses 63 millions d’euros de ventes de produits sous licence, toujours en 2015. En France, nous sommes donc très en retard. Pour mette en place cet instrument bien connu du secteur de l’entertainment mais inconnu dans les collectivités locales, un mode projet a été mis en place avec la direction des affaires juridiques, des finances et des marchés. Il me revenait de conduire ce groupe projet, de rédiger le marché d’agent de licence et parallèlement de construire, avec mon collègue, la plate-forme de marque.

Un marché d’agent de licence a permis de désigner la société Arboresens. Cette société forte de ses compétences dans le domaine du marketing des marques et spécialiste de la licence est venue enrichir notre travail. Ensemble, nous avons pris le temps de construire une plate-forme de marque aboutie et opérationnelle pour notre première marque, Vélib’. Ensuite est venu le temps de bâtir la stratégie de licence avec les catégories de produits, les produits à cibler, les réseaux de distribution, le positionnement prix, les partenaires potentiels, le business plan sur un horizon à 6 ans. Enfin nous avons réalisé une charte graphique qui dans ses illustrations porterait notre offre « différenciante ». Arboresens a aussi contribué à mieux définir la stratégie commerciale pour, à chaque étape, renforcer la marque, la rendre plus forte.

Etait-il simple de démarcher de potentiels licenciés pour votre première marque Vélib’ ?

La tâche était plutôt ardue. Les licenciés potentiels répondaient invariablement que la marque Vélib’ était trop régionale. Ils redoutaient de s’engager dans un risque financier trop élevé en assumant l’investissement, la production et la distribution de produits qu’ils ne pourraient vendre que sur le seul territoire Parisien. Ils craignaient aussi la multiplication des interlocuteurs avec le cliché d’une administration «kafkaïenne» dont il serait impossible d’identifier les décideurs. J’avais le sentiment de porter le coup fatal en exigeant d’eux qu’ils reversent une redevance sur tous les produits vendus alors même que la marque n’avait pas démontré son potentiel commercial et que nous traversions une profonde crise économique. Nous avons réussi à les convaincre en les impliquant lors du développement de la charte graphique et en leur proposant un plan de communication en commun original et puissant.

Quel est le positionnement de la marque Vélib’ ?

La liberté, la joie de vivre parisienne, le respect de son environnement et de sa santé. Les cibles sont les parisiens CSP+ de moins de 45 ans, une cible plus féminine que masculine et les touristes. Les promesses de la marque sont de vivre pleinement Paris, de proposer des produits à l’image d’un Paris moderne et dynamique autour de prix abordables.

Quels sont les premiers produits que vous avez commercialisés ?

Avec l’aide de notre agent de licence, deux premiers licenciés ont assumé le risque de rejoindre notre aventure. Le premier est un éditeur. Le premier ouvrage Vélib’ avec ses itinéraires cyclables, ses bonnes adresses parisiennes trouva rapidement sa place dans les librairies, les Fnac, les grands magasins, les points Relay des gares et aéroports. Il fut même l’objet d’une traduction en anglais et en…mandarin pour une commercialisation en Chine. A la suite du succès du premier ouvrage, deux autres livres Vélib’ verront ensuite le jour.

Le second est un leader du secteur sur le marché de la décoration ludique et du cadeau. Il bénéficie d’une grande expérience et d’un important réseau de distribution. L’objectif principal était d’offrir une plus grande exposition de la marque Vélib’ auprès des touristes pour accroître l’utilisation du service qui, lui aussi, génère des recettes à la ville. Par des produits pratiques, nous venions conforter l’idée que l’utilisation du service était également simple. Par ses illustrations typiquement parisiennes nous renforcions l’idée que le service Vélib’ était également une expérience incontournable d’un séjour à Paris. Après 8 premiers produits commercialisés en juin 2014 pour tester le marché, ce sont aujourd’hui plus de 55 références différentes qui au total ont été commercialisées. Les produits ont rapidement trouvé leur public dépassant même l’objectif de s’adresser aux seuls touristes. En effet, nombreux sont les parisiens à en avoir fait également l’acquisition. Aujourd’hui, les produits touristiques Vélib’ représentent la seconde marque la plus vendue sur Paris de ce spécialiste du secteur. Deux fois par an, de nouveaux produits sont ajoutés ou renouvelés. Au-delà même de l’utilisation du service Vélib’ qui n’a cessé de croître chaque année, les produits touristiques Vélib’ représentent, sur deux ans, 2,5 millions d’euros de ventes.

Vous avez ensuite licencié la marque pour créer le premier restaurant sous licence d’une marque de la Mairie de Paris ?

Nous voulions créer un havre de paix pour les urbains parisiens, un espace de restauration ou pourrait se retrouver la communauté Vélib’. Nous voulions, dans l’esprit de nos missions de service public amplifier le service rendu aux parisiens, faire rayonner la marque, continuer à promouvoir le service et faire se rencontrer les utilisateurs de Vélib’. La Maison Vélib’Exki est située près de l’Opéra, 22 rue de la Chaussée d’Antin. C’est un espace de restauration saine et naturelle ou l’on trouve des espaces de détente et de rencontres, des services d’information sur Vélib’, des ateliers et événements pour la communauté… ce lieu porte les valeurs communes de Vélib’ et de EXKi : la vie urbaine douce, la bienveillance citoyenne, la santé, le bien-être et le respect de l’environnement. Rappelons que la Ville, au-delà de remplir ses propres objectifs, ne finance pas ce lieu. Elle n’en assume pas les charges...mais perçoit des redevances. Nous percevons chaque année un montant forfaitaire pour l’utilisation de la marque et nous sommes intéressés au chiffre d’affaires. Depuis le 2 avril, nous venons aussi de licencier la marque pour, en partenariat avec les guides de Paris Safari, lancer au départ de La Maison Vélib’EXKi, les visites guidées officielles de Vélib’. C’est un nouveau concept ludique qui allie dégustations gourmandes et balades à Vélib’, à la découverte d’un Paris insolite. Ces visites destinées aux parisiens comme aux touristes viennent renforcer l’expérience Vélib’.

Puis, vous avez développé d’autres marques, aux positionnements différents.

Après Vélib’ nous voulions également promouvoir notre service municipal d’apprentissage à la maîtrise du Vélo pour les enfants qui se déroule dans les parcs et jardins de la ville : p’tit Vélib’. Cette marque s’adresse aux parisiens et touristes de 2 à 6 ans. Il s’agit également de faire des utilisateurs de P’tit Vélib’, les futurs utilisateurs de Vélib’ en les sensibilisant à l’environnement. Nous avons déjà commercialisé un premier ouvrage et des coloriages. Une quinzaine de nouveaux produits aux prix abordables seront en vente à partir du mois de juin. On y trouvera des produits spécifiques pour les enfants : de la papèterie, des sacs, des coloriages…

Et une marque emblématique…Ville de Paris

Dans une démarche marketing, nous avons voulu distinguer la communication de l’institution et celle de la marque commerciale. La Marque ville de Paris est une marque qui porte de nombreuses valeurs. Pour les Parisiens et les visiteurs, Paris, c’est la capitale de la gastronomie française, la capitale de la mode, de l’innovation, de la culture, du romantisme…

Son positionnement est de porter l’élégance, le raffinement et le prestige de Paris. Une ville riche de son patrimoine et de sa modernité. Les cibles sont les touristes en séjour à Paris, les parisiens CSP+ de plus de 35 ans et l’export. La promesse de la marque est de retrouver l’art de vivre parisien et de proposer des produits de qualité. Le positionnement prix est plus élevé.

Pour quels types de produits ?

Nous allons, comme pour Vélib’ et p’tit Vélib’, lancer prochainement une gamme d’une trentaine de produits touristiques sous licence. 17 nouvelles cartes postales avec des médailles touristiques de notre licencié « La Monnaie de Paris » seront également commercialisées mi-mai. Avec notre licencié « les comptoirs Richard » nous préparons le lancement d’une gamme de 8 thés aux noms très parisiens. Ces thés viendront compléter une gamme de produits existante d’épicerie fine avec les Comptoirs Richard. Nous tenions à valoriser le savoir-faire de cette entreprise parisienne. Après le succès de la gamme de cafés biologiques aux particuliers aux noms des monuments parisiens, nous avons connu un formidable succès avec les napolitains, ces carrés de chocolats que vous trouvez généralement au bord de votre tasse à café dans votre bistrot préféré.

Cafés et Napolitains que vous commercialisez dorénavant auprès des Cafés, Hôtels, restaurants. Après le BtoC vous vous ouvrez au BtoB.

Oui, notre objectif était à la fois d’apporter notre contribution à la lutte contre l’uniformisation des produits mais aussi de conforter l’élégance parisienne dans l’esprit des parisiens, des visiteurs en encourageant les cafetiers à proposer le café ville de Paris à leur carte et un chocolat « ville de paris » au bord de la tasse. Nous étions aussi animés par l’envie de conforter l’expérience des visiteurs en leur offrant symboliquement, par ses illustrations élégantes un morceau de Paris jusqu’au bord de leur tasse à café. Cette attention délicate, symbole d’un certain raffinement et de l’art de vivre français rapproche aussi le produit et le territoire visité. Je trouvais, par ailleurs, très agaçant de trouver indifféremment le même chocolat, à Paris, à Brest, Lille ou Marseille. Un chocolat bien souvent porteur d’une marque de café…italien.

Grâce au succès de la vente de ces napolitains aux décors typiquement parisiens commercialisés auprès des particuliers en boite de 6 ou 18 nous avons pu pousser notre avantage. Les cafés sont dorénavant conditionnés également en paquet de 1kg et les chocolats vendus en boite de 200 pour une commercialisation auprès des CHR. Vous comprendrez aisément qu’avec cette opportunité les perspectives de volumes des ventes et donc de redevances perçues passent potentiellement aussi à une autre échelle.

Quels conseils donneriez-vous à une institution, à un musée qui souhaite se lancer dans une stratégie de produits dérivés sous licence ?

Pour chacune des marques que nous développons, nous passons un temps très important sur l’étude marketing, la plate-forme de marque. Le licensing n’est pas à confondre avec une démarche de goodies, de cadeaux d’affaires, de produits existants sur lesquels on appose le logo de son institution. C’est une véritable démarche stratégique marketing qui va de la construction de la marque, à l’élaboration du produit, jusqu’à sa commercialisation. L’étude du positionnement de sa marque est une démarche longue, parfois fastidieuse mais indispensable. Aujourd’hui, avec 3 marques commercialisées, Vélib’/p’tit Vélib’/ Ville de Paris et une en cours de développement, il s’agit aussi de s’assurer de la cohérence de notre offre globale. L’erreur à ne pas commettre est de se projeter trop rapidement dans les produits que l’on imagine être développés. Parfois de voir, aussi, sa marque trop belle. Avec l’incertitude que la marque, que les produits rencontrent leurs publics, tout cela nous ramène à beaucoup d’humilité.

Mais avec la satisfaction de voir que le modèle est en train de se reproduire ?

Je me réjouis de voir que l’Armée de l’Air avec sa marque Patrouille de France comme l’Etablissement Public des Musées de la Ville de Paris se lancent aujourd’hui, après une phase importante d’études, dans la phase opérationnelle, la recherche de licenciés. Je constate aussi, avec vous, que de nombreux autres organismes nationaux épaulés par l’APIE et même des collectivités, que je suis amené à rencontrer très souvent, sont aussi dans une réflexion très avancée. Je me félicite que la Mairie de Paris ait pu servir d’exemple, qu’elle ait pu apporter sa pierre à l’édifice, à la promotion d’un service public moderne et innovant.