L’IA et la datascience pour un meilleur contrôle des dépenses de l’État

L’intelligence artificielle (IA) est au cœur de l’actualité de beaucoup d’entreprises et de beaucoup d’administrations.

Cette technologie permet en effet de réaliser des projets qui n’étaient pas envisageables auparavant mais ne doit pour autant rester qu’un outil, au service d’un besoin, d’une stratégie ou d’une politique de modernisation.





Faire appel à une IA pour mieux cibler les demandes de paiement à contrôler

Mi 2017, l’AIFE a étudié l’opportunité d’appliquer des techniques d’IA au Contrôle Hiérarchisé de la Dépense (CHD – voir ci-contre) afin d’optimiser les contrôles effectués par les comptables.

Le recours à une IA pourrait permettre, en capitalisant sur l’historique des contrôles passés, d’automatiser la détection des demandes de paiement les plus à risque. Il s’agirait de remplacer le CHD d’aujourd’hui par un « nouveau » CHD, basé à la fois sur quelques règles métier et sur un modèle prédictif utilisant des techniques d’intelligence artificielle.

Cette perspective semblait réaliste, l’AIFE disposant des données historiques sur plusieurs années nécessaires pour construire un modèle IA suffisamment précis.


L’IA devrait permettre de « mieux cibler » avec « moins de contrôles »

« Notre idée est d’automatiser tout cela, en travaillant sur toute la masse de données disponibles, par un modèle d’Intelligence Artificielle. L’IA ne remplacera aucunement les hommes, mais elle doit permettre de faire beaucoup moins de contrôles, tout en aidant à détecter plus d’irrégularités, et donc au final d’avoir une bien meilleure efficacité du CHD.

En d’autres termes, il s’agit de dégager du temps de travail aux comptables, grâce à un meilleur ciblage par l’IA des factures à contrôler, avec par exemple, le contrôle de périmètres de dépenses qui n’ont jamais été contrôlés dans le passé. Ce temps libéré devrait leur permettre d’identifier et idéalement de corriger les origines des irrégularités et ainsi, au final, réduire le risque financier. Il ne s’agit surtout pas de faire « de l’IA pour de l’IA » mais bien d’adresser un vrai cas d’usage, pouvant amener une valeur, une transformation métier. C’est cela le vrai point de départ du projet » explique Laurent Robillard, adjoint à la directrice de l’AIFE.


Un hackathon IA pour vérifier la faisabilité du projet

En décembre 2017, l’AIFE a proposé de vérifier la faisabilité du projet à travers un hackathon[1] IA organisé par Accenture (AI 4win) avec les principaux fournisseurs d’IA du marché.

Quatre séances spécifiques de deux jours chacune ont été réalisées dans le cadre de ce hackathon. La séance la plus importante a consisté à l’analyse précise des données existantes avec l’aide de datascientists. Ils ont vérifié que ces données étaient à la fois suffisamment riches et fiables pour pouvoir construire un modèle en capitalisant sur les contrôles réels effectués par les comptables dans Chorus les années précédentes. Les comptables et la qualité des contrôles qu’ils réalisent chaque année, étaient donc au centre de la réflexion.

« Les résultats de l’hackathon furent très positifs. Ils ont validé la faisabilité de notre projet. Nous les avons donc présentés à la DGFiP qui a tout de suite montré un grand intérêt pour le sujet. Quand l’AIFE a ensuite décidé de répondre au premier appel à projets du fonds pour la transformation de l’action publique (FTAP), engagé dans le cadre du programme « Action Publique 2022 », il était évident que ce projet devait faire partie des 6 chantiers qui ont été proposés » complète Laurent Robillard.


Un projet concrétisé dans le cadre du FTAP

Les 17 projets lauréats de ce premier appel à projets du FTAP[2] (parmi 112 dossiers de candidatures déposés) ont été annoncés publiquement le 20 juin 2018 dans le cadre d’une cérémonie qui s’est déroulée à Bercy. Le projet proposé par l’AIFE, qui incluait le nouveau CHD, était l’un d’entre eux.

« Le point clé de ce projet n’est pas tant son degré d’innovation technologique, même s’il repose sur des techniques numériques de pointe, mais bien qu’il réponde à un vrai besoin, et permette d’améliorer un service, et donc, in fine, réponde parfaitement à l’objectif d’améliorer par l'innovation les finances de l'État », tient à ajouter Laurent Robillard.


Un démarrage effectif du projet à l’automne 2018

Concrètement, le projet a réellement démarré en septembre 2018 avec la mise en place d’une équipe projet pluridisciplinaire, composée à la fois d’experts métier de la DGFiP, d’experts en intelligence artificielle, d’experts SAP (progiciel sur lequel repose Chorus), d’architectes de données et de data scientists.

Quelques semaines plus tard, le pilote expérimental était choisi : la Direction Régionale des Finances Publiques de Bretagne, avec une date de démarrage au 1er février 2019. « La première phase du projet a consisté à revoir, avec toute l’expertise métier de la DGFiP, tout ce qui avait été vu de façon expérimentale dans le cadre de l’hackathon Accenture » explique Laurent Robillard. Pour mener à bien ce projet, l’AIFE s’est également dotée d’une véritable plateforme d’IA et a choisi de mener le projet en méthodologie « AGILE », compte tenu du délai très court.


80% des irrégularités détectées et plus… avec seulement 40% des contrôles actuels

« Pour qualifier la pertinence du modèle, nous l’avons entraîné sur les données des contrôles de 2016 et 2017 pour l’appliquer à l’exercice 2018. Nous avons ensuite comparé les résultats proposés par le modèle IA avec les irrégularités réellement détectées sur l’exercice 2018 par les comptables. Le résultat a été très positif, car 80% des irrégularités ont été détectées par le modèle, avec une réduction du nombre de DP à contrôler de 60%. Ce modèle a par ailleurs proposé d’autres contrôles d’irrégularités potentielles qui n’avaient pas été faits en 2018 » conclut Laurent Robillard.


Un projet très concret d’IA et de datascience, en production depuis le 1er février 2019

Au-delà de la technologie d’IA mise en œuvre, la véritable clé de ce projet est la « donnée », sa valeur, sa qualité, sa compréhension, son analyse, et la modélisation qui en découle. D’où l’importance capitale du rôle et de l’expertise des datascientists pour la bonne réussite de ce projet.

Avec les trois années cumulées (2016, 2017 et 2018), ce sont plus de 25 millions de demandes paiement qui ont été comptabilisées dans Chorus. Chaque DP intégrant une cinquantaine de données, ce sont donc plus de 1,25 milliard de données qui sont ici à analyser !

Parallèlement, un arrêté du 29 janvier 2019[3], portant création d'un traitement automatisé d'analyse prédictive relatif au contrôle de la dépense de l'État, précise que l’AIFE crée « un traitement automatisé d'analyse prédictive destiné à assister les comptables publics assignataires de l'État dans la mise en œuvre des modalités de contrôle de la dépense », et que ce « traitement automatisé s'appuie sur des techniques d'intelligence artificielle et sur un ensemble de règles définies par le directeur général des finances publiques ».

Ce projet devrait être appelé à se généraliser à l’horizon 2020-2021. Le CHD devrait s’améliorer d’année en année, l’IA devenant de plus en plus pertinente, au fur et à mesure des contrôles effectués. Rendez-vous en mai prochain, avec le point d’étape de la première phase pilote menée à la DRFIP de Rennes. Une décision sera prise quant à la généralisation de ce nouveau CHD à l’ensemble des comptables de l’État, sur la base d’un modèle prédictif national en cours de construction.

Ce nouveau CHD, en s’appuyant dans le futur sur un modèle prédictif des demandes de paiement à contrôler en fonction de leur profil de risque, après analyse exhaustive des contrôles passés, pourrait bien devenir une innovation essentielle, contribuant très concrètement à l’amélioration du processus de contrôle des dépenses de l’État.




[1] Hackathon : événement créatif fréquemment utilisé dans le domaine de l'innovation numérique où un groupe de développeurs volontaires se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative sur plusieurs jours (définition Wikipédia)



[2] https://www.modernisation.gouv.fr/action-publique-2022/actualites/investir-pour-transformer-decouvrez-les-17-laureats-du-premier-appel-a-projets-du-ftap



[3] https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000038094214&dateTexte=&categorieLien=id




Comprendre le "CHD"

Les comptables de l’État contrôlent, en continu, les demandes de paiement (DP) de toute nature : factures fournisseurs, subventions, états de frais, etc. Ces contrôles sont effectués à partir du système d’information budgétaire et comptable de l’État, Chorus, mis en place au début des années 2010 par l’AIFE. Ce contrôle est appelé « Contrôle Hiérarchisé de la Dépense » ou CHD.

Il a pour but de détecter d’éventuelles irrégularités de toutes sortes. Le CHD est basé sur des règles métiers, à la fois nationales et locales. Même si ces règles sont adaptées annuellement, elles restent génériques. Elles peuvent par exemple reposer sur des seuils de montants, des types de marchés ou bien des natures de dépenses. Mais elles ne peuvent pas être individualisées, compte tenu du volume conséquent de demandes de paiement à traiter.